« Les mythes signifient l'esprit qui les élabore au moyen du monde dont il fait lui même partie. » Claude Lévi-Strauss ( le Cru et le cuit )
« Moi et mes potes, on s'est déplacé de Bordeaux pour voir jouer Simon (alias Cristal Distortion) . On ne rate jamais l'occasion… Son style est mental et c'est aussi notre référence musical, tout comme le son (au sens de musique) de Seb de 69 DB. A chaque fois qu'ils jouent, on se croirait à l'époque !!! » (citation tirée d'un entretien avec un amateur, enregistrée à la Bergerie, club situé aux alentours de Toulouse). Cette citation montre bien le cadre dans lequel évolue aujourd'hui les rapports d'échanges entre les anciens membres de la Spiral Tribe et les amateurs actuels de la free party.
Lorsque j'ai posé la question, qu'est-ce que la Spiral Tribe, à différentes personnes du milieu autres que les anciens membres de celle-ci, chacun avait son propre point de vue. Ce sont « des fous », « une secte », « des anglais », « des travellers », « un sound system » , « des profiteurs » ,… Mais tous ont été au moins d'accord sur un point : l'enseigne Spiral Tribe est un mythe. La référence sur laquelle se basent principalement ces individus est que les Spiral Tribe ont été parmi les premiers anglais à débarquer en France avec un mode de vie nouveau et véhiculer à travers leurs pratiques festives un nouveau style musical.
Ce chapitre est consacré à l'étude d'un des mythes de la free party en France : celui de la Spiral Tribe, du n°23 et du techno travelling. Je souhaite tenter de comprendre comment chez différents individus du mouvement free party, le concept Spiral Tribe et son histoire sont perçus comme un mythe exemplaire.

Photo prise par Wilfrid Estève
1 – Diffusion du mythe
Il me semble que la première étape pour comprendre la construction de ce mythe, est l'analyse de la diffusion en France de celui-ci. J'ai tenté alors de cerner l'origine de ce mythe chez les participants et d'établir par quel processus celui-ci s'est diffusé. Si une chose est sûr, c'est que ce mythe se construit continuellement autour d'un sentiment de mystère, d'inconnu et de morceaux d'histoires pas vraiment vérifiables. Aujourd'hui, personne ne sait vraiment ce qu'est la Spiral Tribe, si ce n'est une référence à laquelle peuvent s'identifier tous les nouveaux venus dans le milieu.
Mécanismes du mythe
La clef de cette énigme se trouve dans la propension de certains amateurs à ériger les individus et les actes fondateurs du mouvement free party comme des références, soit parce que l'on y était, soit parce que l'on commence son apprentissage du milieu et qu'il faut se composer un registre de base. Comme le dit Eliade « on ne devient homme véritable qu'en se conformant à l'enseignement des mythes, en imitant les dieux » (Eliade. 1992). En ce sens, on ne devient réellement teufeur (participant à la free party ) que lorsque l'on inscrit dans son apprentissage du milieu, une certaine connaissance de l'histoire et des mythes de la free party. Ainsi, on peut dire que certains amateurs de ce genre techno font de groupes fondateurs comme celui de la Spiral Tribe et de leurs agissements, une référence à laquelle parfois on s'identifie. A raison de ne pas connaître toutes les données de l'histoire, l'instauration d'un mythe compensera ce manque.
Les schèmes identitaires - auxquels se réfèrent aujourd'hui les amateurs de free party - se basent alors essentiellement sur la volonté de créer une dimension symbolique autour des actes commis par ces entités fondatrices. Cette dimension concerne trois registres : l'errance, l'anomie et la conquête.
1 – L'errance. Le cadre symbolique fixé par ce terme est celui de la liberté. Ce symbole s'intègre dans les faits par la constitution d'un idéal dans l'imaginaire social du mouvement free party autour du techno travelling et de ses pratiques itinérantes.
2 – L'anomie. Cette référence symbolique renvoie à la forme d'hédonisme pratiquée par les acteurs, qui est caractérisée par le concept de zone autonome temporaire. Elle se matérialise par le biais de la constitution d'un idéal festif non structuré, à l'image des pratiques de sound systems comme celui de la Spiral Tribe.
3 – La conquête. Ce registre symbolique renvoie au concept de pouvoir. L'acte de conquête est matérialisé par l'utilisation de la musique comme moyen de revendication. Conquérir par la musique de nouveaux adeptes à l'image du colon et de ses méthodes prosélytistes.
Cette dimension symbolique associée à la volonté (partagée ou non) de faire de certains individus et de leurs agissements un des modèles de référence, permettra par la même occasion d'engager un processus au sein du mouvement qui fera entre autres de la Spiral Tribe, de son histoire, de ses membres et de ses musiques, les composants d'un véritable mythe contemporain.
Je souhaite maintenant me concentrer sur l'étude des différents moyens par lesquels s'est diffusé ce mythe Spiral Tribe .
Le rôle des free parties
Ces fêtes ont été le premier cadre dans lequel s'est créé puis diffusé le mythe. Par l'intermédiaire de celles-ci, les premiers amateurs ont découvert le mode de vie techno travellers et sa conception de la fête techno .
On se demande alors ce qui a convaincu le public français d'attribuer la majeure partie de ce succès festif au sound system des Spiral Tribe plutôt qu'à l'ensemble des techno travellers. La réponse se trouve dans la détermination du groupe à crier toujours plus haut, toujours plus fort, à être toujours là au bon moment, au bon endroit, avec l'attitude de mise. C'est de cette façon que la Spiral Tribe a canalisé la plupart des moments de diffusion des valeurs du techno travelling, et permis par là même de se concéder une place de choix dans le mythe qui entoure le techno travelling.
La Spiral Tribe faisait partie des sound systems les mieux équipés en matériel sonore. A part elle, les quelques sound systems itinérants qui proposaient ce style d'événement, étaient majoritairement anglais. A l'époque, lorsque la Spiral Tribe posait du son (expression pour définir la mise en place d'une free party ), elle invitait souvent les DJs et les membres des autres sound systems à la rejoindre pour un temps . C'est lors de ses soirées que le public français a fait l'amalgame entre le convoi des Spiral Tribe et celui des techno travellers en général. Il n'est pas compliqué de comprendre cette situation lorsque l'on sait que les membres de la Spiral Tribe criaient à tous bouts de champs « si tu viens dans la tribu, tu es un Spiral Tribe ». Ainsi, tous les DJs qui ont participé à l'expérience 23 sur un temps plus ou moins long, ont été pris pour des membres de la « tribu » (ce qui n'est pas tout à fait faux dans un sens) et ont favorisé la diffusion d'un mythe non pas tourné autour du techno travelling, comme le souhaitait la Spiral Tribe , mais autour de celle-ci.
C'est pour cette raison que lorsque j'ai posé la question « qui fait partie de la Spiral Tribe » aux amateurs du genre, de nombreux DJs et sound systems ayant vécu cette époque (parfois non) ont été cités. Parmi ceux là, on retrouve FKY, les Boucles Etranges, les Foxstanz, les Total Resistance, les Sound Conspiracy, les OQP, Cristal Distortion, 69 DB, Signal Electrique, Noise Builder, Radio Bomb, Ixidamix, ... Bref, personne ne sait réellement qui tire les ficelles derrière l'enseigne Spiral Tribe. Il n'y a que les passionnés s'étant penchés d'un peu plus près sur la musique des Spiral Tribe ou ses agissements et les personnes ayant côtoyé les membres qui puissent ce faire une idée d'ensemble. On découvre alors un nouvel aspect du mythe qui se caractérise par la propension des individus à laisser les fantasmes d'un imaginaire social réinterpréter les faits.
Le rôle d'Internet
Lorsque l'on tape les mots Spiral Tribe sur un moteur de recherche comme Google on obtient alors environ 30 300 résultats. Je n'est pas eu le temps d'éplucher tous les sites, ni les pages personnelles et autres liens qui s'organisaient autour de ces mots. Cependant une grande partie des liens pour la Spiral Tribe renvoient sur un site :
http://www.t0.or.at/spiral23/spiral.htm . Lorsque l'on clique sur ce lien, on tombe sur une page d'accueil qui explique (en plusieurs langues) ce qu'est la Spiral Tribe. “ United force of Techno ” (forces techno unis) est le titre de celle-ci. Il s'ensuit alors un discours qui nous présente le but de la Spiral Tribe comme une mission d'étendre l'idéologie, que je caractérise par le terme hardcore , sur le même principe qu'une spirale (dont le commencement serait la Spiral Tribe ) . Cette page d'accueil renvoie ensuite à partir d'un lien sur ce qu'était (je suppose) le site, mais qui apparemment n'existe plus aujourd'hui, puisque le lien est nul ou n'a simplement pas été réactualisé.
De nombreuses pages personnelles sont dédiées aux Spiral Tribe. On trouve souvent les écrits d'amateurs ayant vécu l'expérience 23 lors d'une free party ou d'un teknival, un reportage sur une période de leur vie, une page sur laquelle on peut télécharger la musique du sound system, …
Mais les sites référencés où l'on trouve le plus de liens affiliés aux termes Spiral Tribe sont ceux qui se consacrent à la musique techno. Parmi ceux-là, on retrouve les sites de la scène free party comme « 3boom », « Emoragik Free Sound », « Freetekno », ou encore « Art'n'fact ». On y trouve principalement des liens de téléchargements pour la musique et les vidéos des Spiral Tribe, des forums de discussions, et des rapports sur les fêtes et autres évènements de la scène free party.
Internet est un bon moyen de juger de l'ampleur du phénomène (mais ce n'est pas le seul) car il permet de se rendre compte de la portée du mythe qui entoure la Spiral Tribe . Par exemple, les termes employés dans les récits des passionnés pour définir l'expérience 23 appartiennent souvent au registre de l'adoration et contribuent pour beaucoup dans le processus mystificateur . Je tiens à préciser que l'on trouve sur Internet plus de pages créées par le fan club du sound system que par celui-ci.
Internet apporte une nouvel dimension au mythe. En effet, sur des serveurs comme les peer to peer (ex : Kazaa, Emule,…) qui servent à récupérer des fichiers vidéos ou de musiques, lorsque vous tapez Spiral Tribe, il apparaît alors toute une liste de morceaux téléchargeables. Parmi ceux-là, certains sont nommés par les termes Spiral Tribe Remix. Lorsque vous les écoutez, vous vous rendez compte qu'il s'agît de morceaux musicaux qui n'ont rien à voir avec la musique techno. En demandant à certains membres s'il s'agissait de remixes fait par le groupe Spiral Tribe , ceux-là m'ont répondu qu'ils n'avaient jamais retouché ces morceaux et qu'ils n'avaient aucune idée d'où cela pouvait venir. Internet montre bien la confusion qu'amène la « non connaissance générale » sur le sujet. Tout le monde interprète personnellement différents événements, musiques, ou situations par ce qui semble être possible, à regret du manque de données vérifiables sur le sujet.
Pour me rendre compte de l'ampleur des différentes interprétations de ce mythe sur Internet, j'ai décidé de créer un débat autour de la Spiral Tribe sur deux des forums de discussions concernant le monde de la free party. Le titre que pouvait lire l'intéressé sur la page de présentation des débats était : Spi et 23……..Le mythe ?
J'ai obtenu 10 réponses, qui donnaient surtout des informations sur les endroits où trouver les quelques reportages en rapport avec la Spiral Tribe. Ce qui démontre bien en toutes proportions gardées l'envie de connaître l'histoire du sound system. Le nombre de visites répertoriées sur ce débat deux mois plus tard montait à 441, contre une moyenne entre 20 et 30 visites pour les autres thèmes, comme l'avenir de la free party en France, les lois françaises sur la sécurité quotidienne,…Ce nombre montre bien l'intérêt que porte les Internautes amateurs de free party à l'univers créé autour de la Spiral Tribe.
Un autre moyen de se rendre compte de cet intérêt est d'éplucher les sites qui proposent une vente aux enchères des productions musicales de la Spiral Tribe (voir annexes).
Sur le site
http://search.ebay.fr/search/search.dll?MfcISAPICommand=GetResult&ht=1&SortProperty=MetaEndSort&cgiurl=http%3A%2F%2Fcgi.ebay.fr%2Fws%2F&shortcut=4&maxRecordsReturned=300&maxRecordsPerPage=50&SortProperty=MetaEndSort&ebaytag1code=71&query=Spiral+Tribe , les productions musicales qui répondent du nom Spiral Tribe montent jusqu'à 180 euro par exemple pour l'achat de l'album « Tekno Terra » sur support vinyle (le seul album commercialisé sous le nom Spiral Tribe ), et 150 euro pour le vinyle « Network 23 n°5 ». Les passionnés font ici preuve d'un certain zèle pour acquérir quelques morceaux d'anthologie de l'époque Spiral Tribe.
Il est donc intéressant de se pencher sur les disques et leurs réseaux de distribution pour comprendre ce qui provoque chez les amateurs du genre free party l'emploi du mot mythe pour caractériser les termes Spiral Tribe.
Le rôle des productions musicales et des réseaux de distribution
Les productions musicales ont permis de véhiculer à travers l'engouement qu'elles suscitent chez le passionné le mythe de la Spiral Tribe. Car la course à la collection des morceaux musicaux d'anthologie est synonyme d'un intérêt certain pour les sonorités de l'époque où le sound system était sur la route, cette même époque où ces productions musicales étaient vendues pour presque rien ou simplement troquées. Aujourd'hui (comme nous l'avons vu sur un des sites d'Internet) les productions de l'époque sont un véritable enjeu pour le passionné qui souhaite poursuivre une quête identitaire à travers ces objets cultes. Lors d'un teknival, j'ai rencontré l'un de ces passionnés, qui passait de sound system en sound system avec sa collection pour échanger ses disques, les comparer ou tout simplement en discuter. Lorsque je lui ai posé la question, « pourquoi cet intérêt pour les disques de la Spiral Tribe », il m'a répondu le plus naturellement possible que c'était le son (au sens de style musical) de l'époque, celui qui représente le plus « l'esprit free party » . Cette recherche constante d'objet « collector » de la période Spiral Tribe - qui se matérialise entre autres à travers le disque vinyle (support qui permet de le mixer à l'aide des platines tourne disque, outils le plus répandu chez les DJ) - entretient une des formes de rapport d'échanges chez les passionnés de musique techno. A travers ces disques vinyles, il permet d'affirmer sa connaissance du milieu free party. La course aux disques vinyles rares permet par l'intermédiaire de son utilisation ultérieure de confirmer son appartenance au milieu, son ancienneté, sa passion… Bref, de confirmer son engagement dans les pratiques festives.
Les réseaux de distribution ont aussi contribué à faire de ce mythe une réalité. Le principe de ce style de distribution emprunté par les productions musicales du milieu free party est de minimiser le nom de l'artiste (du moins au début) pour amener un sentiment de total anonymat autour du morceau de musique. L'époque où la Spiral Tribe voyageait, était l'apogée de l'utilisation de ces pratiques. Généralement, le nom de l'artiste n'était pas marqué sur le support, ou simplement remplacé par le logo et/ou le design graphique employé par l'artiste ou le sound system.
L'emploi de divers signes qui permettent aux passionnés de reconnaître les productions musicales de leurs idoles. Savoir qui se cache derrière le logo ou le design graphique permet donc à l'amateur de se construire une identité à travers ceux-là. Car qui connaît le logo et son propriétaire confirme par la même l'appartenance au milieu. Comme le démontre Segré dans son étude du mythe d'Elvis Presley, l'admirateur de l'idole passe par différentes étapes qui l'amène un jour ou l'autre au rôle de collectionneur. Pour lui le fait de collectionner renvoi aux caractères intimes que suscite sa musique. Chacun se reconnaît personnellement dedans. En prenant l'exemple du contre don de Mauss, celui-ci nous explique que la collection d'objet culte procure un témoignage de reconnaissance à l'artiste et par là même confirme son statut mythique (Segré. Terrains 37). Ainsi la Spiral Tribe représente symboliquement une des conceptions de mêmes individus pour le milieu free party. Voici quelques uns des symboles utilisés par la Spiral Tribe :
  
Parmi ceux-là, un en particulier est souvent utilisé, celui du n° 23.
2 – 23 : amalgame entre mythique et mystique
Le nombre 23 est le symbole numérique de la Spiral Tribe. Il est le seul symbole rescapé de l'époque ou le groupe s'appelait Spiral Tribe. Il est utilisé par les anciens membres pour reconnaître les différentes déclinaisons qui ont suivi la dissolution du groupe . Par exemple, on le retrouve dans les noms de label comme Network23 ou encore Elegal23. Ce nombre est devenu le symbole de l'héritage Spiral Tribe. Son origine remonte à la période ou le groupe était en Angleterre. Chaque membre a sa propre interprétation du nombre, et il est réellement difficile de savoir de quoi il retourne. Lorsque j'ai demandé à Simon ce qu'il signifiait, voici ce qu'il m'a répondu : « arrête. Réfléchis, un bonne blague pour le recrutement des jeunes normalement privés d'un avenir dans la société et un bon outil pour les persuader qu'il existe une autre façon de vivre, qui s'intègre à ce que tu aimes faire dans la vie ». Cette citation ne nous explique pas ce qu'est le nombre 23, mais il permet de comprendre son utilisation.
Légendes autour du nombre 23
Comme je l'ai dit plus haut, chacun a sa propre interprétation du nombre. Il semble selon certains des membres, que celui-ci provient de la date et du nombre de personnes présentes dans le groupe lorsqu'il a décidé de partir sur la route et de ne pas revenir sur Londres. D'autres m'ont expliqué que ce nombre est la date à laquelle le groupe à quitté l'Angleterre (qui correspond plus ou moins au solstice d'été du 23 juin 92). Une chose est sure, c'est que la plupart des membres ont attribué un sens mystique à ce nombre à un moment ou à un autre. Ils le voyaient partout. Certains ont même élaboré un théorie du 23 basé sur le hasard de la rencontre du nombre dans une date, une heure ou un texte et sur la coïncidence de l'apparition de ce nombre dans certains évènements de leur vie. Chacun a sa propre interprétation qui définit avec plus ou moins de certitude où et quand le nombre est devenu celui du groupe. Mais je n'ai pas pu réellement en déterminer l'origine exacte, car aujourd'hui chacun en a une utilisation personnelle dans un but précis : laisser le mythe s'installer, que ce soit pour une gratification personnelle, un but lucratif ou une simple volonté d'ignorer les faits. C'est pour cette raison que le contexte du nombre 23 a permis le libre cours des divers fantasmes du monde de la free party autour de la Spiral Tribe.
Extrapolation autour du nombre 23
Ce nombre a permis la libre imagination des amateurs de free party , ce qui apparemment était le but de la manœuvre. Les mots de Simon sont peut-être un peu fort lorsqu'il dit que c'est une « bonne blague » , car il était le premier à y croire et à l'utiliser au moment opportun.
Ces extrapolations sont de l'ordre du fantasme érigé autour de l'univers que représente le nombre 23. Par exemple, j'ai vu sur une page personnelle que le nombre 23 est responsable des attentats du 11 septembre. Les auteurs le démontrent par une théorie mathématique teintée de forte approximation et de mysticisme religieux. Sur une autre page, une théorie du chaos est aussi formulée autour du nombre 23, considéré comme le nouveau nombre du diable pour l'an 2000.
Mis à part ces deux théories extrêmes, ce nombre reste dans une interprétation personnelle un peu moins démesurée et donne plutôt un cadre de référence à certaines coïncidences. Une photo est particulièrement représentative, celle d'un commissariat de police qui a comme adresse le numéro 23 (celui-ci est placé à côté de la porte bien en évidence). L'auteur de la page marque le sous-titre suivant pour la photo : « comme quoi rien n'arrive par hasard… ».

Si le mythe de la Spiral Tribe était un nombre, il serait le numéro 23. C'est pour cette raison, entre autres, que j'ai appelé l'univers qui entoure la Spiral Tribe (que ce soit une expérience, une fête des Spiral Tribe, … vécues par les membres de celle-ci ou par les amateurs de free party ) l'EXPERIENCE 23. Appellation d'origine contrôlée
Lorsque ce nombre est utilisé par les membres, il confirme l'origine du produit comme étant labellisé Spiral Tribe.
Même si aujourd'hui la page de l'époque Spiral Tribe est tournée , les membres se considèrent tous « d'une même famille incassable ». Le mot « famille » employé par beaucoup de membres caractérise l'attachement que chacun porte à l'univers techno. Le mot incassable fait référence au parcours que chacun a fait et aux relations qu'ils ont conservées aujourd'hui. Ce lien qui perdure chez certains membres du défunt sound system, est symboliquement représenté par le numéro 23.
Car chacun s'en est fait une marque de fabrique que les amateurs du genre pourront reconnaître. L'exemple le plus marqué est celui de Jeff : mis à part son nom de scène qui est Jeff des spis ou Jano (dont l'adresse Email est isotop23@hotmail.com ), celui-ci a monté un label nommé Elegal23. Comme l'a remarqué Guillaume Kosmicki dans son article sur le tube « let's play » du monde de la free party, Simon laisse sur ses pochettes de disques des adresses Email comme c23d@hotmail.com (qui fait référence à son nom de scène Cristal Distortion entrecoupé du nombre 23).
Cette marque de fabrique, caractérisée par le nombre 23, est ce que j'appelle une appellation d'origine contrôlée, à l'image du vigneron qui souhaite affirmer l'authenticité de ses productions sur lesquelles se base son succès et confirmer l'origine de celles-ci. Même si la Spiral Tribe n'existe plus, le 23 assure le suivi des productions…
On comprend alors que le mythe qui s'installe autour des Spiral Tribe et du numéro 23 permet de vendre : vendre une époque, un style de vie et les musiques qui vont avec ; un mythe que les individus concernés peuvent contrôler par leurs productions musicales, leurs activités, leurs pratiques et leurs philosophies respectives. Que certains le fassent ou non, tous les ex-membres qui se lancent dans l'industrie du disque ont ce pouvoir . Le « département business » de la Spiral Tribe y est pour beaucoup.
Le mythe est donc construit dans l'effervescence et entretenu par les intérêts qu'il suscite chez le passionné, qu'il soit amateur ou compositeur.
3 – A qui s'adresse le mythe
Le mythe s'adresse à tous les amateurs qui souhaitent vivre l'expérience 23. Parmi ceux-ci, on retrouve les individus qui ont vécu celle-ci par l'intermédiaire des fêtes du sound systems, et ceux qui la vivent ou revivent par procuration. Ces deux catégories sont celles que j'ai pu discerner au fil des entretiens.
Les individus qui se sont livrés, sont de divers âges entre 18 et 35 ans. Ils correspondent plus ou moins à deux ensembles, celui d'avant 80 (qui a fréquenté les free party à partir de 92), et celui d'après (qui a commencé vers 96).
Celui qui était là
Les premiers concernés sont les individus qui ont participé aux free parties du sound system en France à partir de 92. Les seconds sont ceux qui ont eu l'occasion de connaître les fêtes des membres de la Spiral Tribe ayant reformé un sound system (comme celui des Sound Conspiracy par exemple). Ces amateurs ont apprécié l'expérience qu'ils ont vécue lors des fêtes et en gardent un bon souvenir. Ils permettent d'entretenir le mythe par la transmission de leur sentiment de nostalgie aux nouveaux venus. Ces individus prennent généralement un certain recul face à ce mythe, forts des expériences vécues dans le milieu. Ils le considèrent à demi mesure, sachant plus ou moins de quoi il retourne. Cela n'empêche pas pour certains de vouer un véritable culte à cette époque.
Le consommateur d'étiquettes 23
Je nomme par cette catégorie tous les individus qui vouent un véritable culte à l'univers de la Spiral Tribe. Ceux qui ont vécu la découverte de cet univers par l'intermédiaire d'un premier contact violent qui les a séduit. Cette situation vécue comme une passion les prendra dans un engrenage qui les poussera à tout acheter, tout posséder, tenter de tout savoir sur la Spiral Tribe. Certains sont même près à y mettre le prix. Ces passionnés peuvent être des amateurs ayant connu l'époque ou simplement de nouveaux venus. Pour les plus férus, on les retrouvera dans les magasins de disques, haut lieu de la sociabilité hors free party. Certains se feront un plaisir de faire l'éducation d'un auditeur et de démontrer la leur par la même occasion.
Le consommateur d'étiquettes 23 est le principal individu sur lequel s'épaule le mythe pour survivre. Car à travers lui il se transmet, se mystifie, s'étend à d'autres domaines et s'installe dans le milieu free party comme une référence.

Exemple d'images trouvées sur Internet
qui font la joie de consommateurs d'étiquettes 23
En conclusion, je remarque que le mythe qui entoure le n°23, la Spiral Tribe et ses membres , est bien réel, car l'effervescence qui l'accompagne contribue à le faire survivre. La façon la plus simple de vérifier l'ampleur du mythe est de voir comment les soirées organisées par cette « famille » sont couronnées de succès. Que ce soit le fameux Bordell23 ou simplement les soirées payantes de la tournée Expressillon avec 69 DB et Cristal Distortion, les soirées du label Audiotrix avec Ixy ou Raph (Sound Conspiracy),… L'Arakis (club proche de Grenoble), ont fait la joie de plus d'un amateur en proposant une programmation musicale qui englobait une grande partie des techno travellers de l'époque. Les têtes d'affiche de ces manifestations étaient en partie les ex-membres de la Spiral Tribe.
Ce mythe s'est construit sur un besoin de référence de certains des amateurs de free party. Ces références sont les individus et les actes fondateurs du mouvement en France . Il leur a permis de se forger une identité collective par l'intermédiaire d'une même conception de ce que représente la musique techno free party : une passion pour la musique, en partie conditionnée et alimentée par une certaine « famille » et sa musique fondatrice – The sound of Spiral Tribe – (le son de la Spiral Tribe ).
Aujourd'hui cette « famille » composée des « vieux papas de la techno » ne s'appelle plus Spiral Tribe , mais continue d'en faire « raver » plus d'un (dans le sens où l'entend la définition anglaise du mot : délirer, s'extasier). Son atout est l'expérience 23, qui reste la principale référence pour les pratiques festives à ce jour.
Tous les amateurs, passionnés et acteurs de free party connaissent le nom Spiral Tribe et son numéro 23. La plupart ne savent pas trop de quoi il retourne, si ce n'est qu'il s'agit d'une vague « tribu d'anglais » voyageant dans des bus et ayant amené la free party en France. Tout le monde sait ce qu'est le « son des spis » même si on ne sait pas trop faire la différence entre celui-ci et les autres. Le passionné féru et celui qui les a côtoyé sauront et pourront vous expliquer le petit quelque chose de ce son qui fait sa particularité technique. Plus généralement on vous répondra que … « c'est juste le son des Spis, le leur quoi ».

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