I - Introduction
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Photo représentant une carte d’Europe, Saint Jacques de Compostelle est marqué d’un point rouge

 

 

I - Introduction

 

Compostelle… cité connue à l’époque médiévale comme le point de non retour, là où s’arrête le monde. C’est un lieu où l’on se dit que l’apôtre St Jacques le majeur, ami et disciple de Dieu repose en paix et accorde ses faveurs à celui qui fera pénitence sur sa tombe. Aujourd’hui encore le sentiment d’extraordinaire que dégage ce site chrétien attire des dizaines de milliers de pèlerins sur les chemins menant à Compostelle. D’un peu partout en France, de l’étranger et de presque toutes les époques sont ces pèlerins, chevaliers, brigands, ecclésiastes, empereurs… ou simples marcheurs qui ont contribué à faire des chemins de Compostelle, un patrimoine historique et les placer en premiers itinéraires culturels Européens.

L’hagiographie de St Jaques le majeur et le mythe de Compostelle sont des objets d’étude particulièrement intéressants, puisqu’ils éclairent sur des points essentiels à la compréhension historico-politique du pourtour nord-ouest méditerranéen. De la Conquête maure, à l’expansion de l’empire de Charlemagne ou encore d’Alphonse III, jusqu’au récent appel de Jean Paul II à prendre la route, les chemins de Compostelle se révélèrent au travers des âges être au centre de toutes sortes d’enjeux, politiques, religieux, économiques… attirant toujours plus de monde en ces lieux saints.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce toujours la chrétienté qui nous mène sur les chemins de Compostelle ? Est-ce peut-être autre chose ?

Lorsque l’on s’intéresse de plus près aux chemins de Compostelle, une chose est sûre, notre curiosité a vite fait de se voir satisfaire par l’étendue des publications liturgiques, littéraires, voir scientifiques sur le sujet. Même Internet propose un large panel d’informations sur ce thème. A l’heure où les disciplines scientifiques comme l’histoire, nous apportent des matériaux concrets sur ce thème de recherche, pourquoi ne pas se poser la question comment concevoir le pèlerinage de Compostelle d’un point de vue anthropologique ?

Posons nous cette simple question à laquelle l’anthropologie peut tenter de répondre : si bon nombre de personnes se prépare à prendre la route en cette année Jacquaire - sachant que 2004 est une année sainte à Compostelle, où la fête de St Jacques le 25 Juillet tombe un Dimanche - nous sommes en droit de nous demander vers quoi marchent-t-ils toujours ? Qu’est-ce qui amène, plutôt attire encore des milliers de pèlerins aux portes de Compostelle, quand nous savons que le dogme catholique n’a plus la même place dans notre société, qu’il pouvait avoir au temps des croisades ? Quels sont les différents sens que les individus concernés attribuent aujourd’hui à l’acte de partir sur les routes à pied ou à vélo, et vivre l’expérience de se diriger vers un sanctuaire, que l’on croit ou non au christianisme.

 

1 – Vers quoi marchons-nous aujourd’hui ?

 

La première question que l’on pourrait se poser, est avant tout de savoir qu’est-ce qu’un pèlerin, qu’est-ce qu’un pèlerinage ? Le dictionnaire Larousse donne comme définition du mot pèlerinage « un voyage fait par dévotion » ; le pèlerin étant désigné par celui qui fait ce voyage par dévotion. Ces termes viennent du latin « peregrinus », qui signifie étranger. Ce même dictionnaire donne entre autre comme synonyme le mot pardon. Un pardon tourné vers une grâce divine (ou autre), qui à l’aide d’une longue pénitence permet à celui qui prouve sa valeur par un long et périlleux voyage, une indulgence plénière. Dans certains cas, il démontre, une affirmation voir une confirmation de sa foi religieuse. C’est une des définitions que l’on donne au pèlerinage, et qui, aujourd’hui est encore valable. Bien sûr il en existe d’autres, plus actuelles, comme par exemple, le fait d’effectuer un pèlerinage dans la ville de son enfance. Mais le plus souvent, cette forme de pèlerinage au caractère religieux (à première vue) prédomine la plupart des définitions de ce terme. Du pèlerinage musulman vers la Mecque à celui vers Jérusalem ou Rome des chrétiens, du recueillement des hindous aux embouchures du Ganges à la visite des 88 temples shintoïstes japonais… Il semble que de par le monde on attribue un certain sens religieux, ou tout au moins « sacré » aux pèlerinages. Pourtant, alors que l’on se rend à Lourdes ou à Notre Dame de Fatima en voiture, en autobus, parfois en train, pourquoi nous rendons-nous à pied ou à vélo à Compostelle ? Pourquoi la marche reste-t-elle une des dimensions principales du voyage vers Compostelle ? Qu’est-ce qui fait cette spécificité du pèlerinage, à l’échelle de l’occident ? Est-ce simplement une permanence de la représentation du pèlerin qui nous vient tout droit du moyen âge ? Ou bien existe-t-il un chevauchement établi, voir patent, entre les pratiques et les interprétations relatives au pèlerinage de Compostelle ?

La cathédrale de Compostelle fait partie de ces nombreux sanctuaires qui ont vu défiler au cours du temps, la longue et interminable procession de fidèles. Et plus encore, comme nous le confirment les œuvres littéraires comme celle de Shirley Mc Laine par exemple, les chemins de Compostelle se sont vus arpenter par des individus aux intérêts divergeant de ceux du dogme religieux, dans une quête plus personnelle, que divine. Une quête… Lorsque l’on s’attarde sur les lectures traitant de ce pèlerinage, le champ lexical fait énormément référence au mot « quête ». Une quête individuelle, une quête religieuse, une quête intérieure, une quête chevaleresque, ou encore une quête de sens… Se pourrait-il que l’on assiste aujourd’hui à une métamorphose des priorités dans les motivations qui poussent les pèlerins sur la route ? Et inversement, la prédominance de certains schèmes comme l’exploit de la marche ou le sentiment religieux ne contribuerait-elle pas à définir un sens propre et véritable à chacun, de ce qui est ou n’est pas un pèlerinage ? Quels sens le pèlerin attribue-il à son départ, à son voyage ?

Aujourd’hui, n’assistons-nous pas à un glissement de la signification du mot pèlerinage, d’un sens où l’on sous entend un pardon divin en vue d’une certaine rédemption, à celui de quête intérieure englobant plus d’un champ d’interprétation et d’application ? Si oui, dans quelles proportions ?

Vers quoi le pèlerin avance, dans quel but marche-t-il aujourd’hui, pourquoi et comment devient-on pèlerin… Toutes ces questions proposent un angle de recherche particulier sur St Jacques et le mythe de Compostelle, une succession d’interrogations auxquelles l’anthropologie peut fournir les outils nécessaires à sa compréhension.

 

2 – Vers une ethnographie des chemins de Compostelle

 

Pour ce faire, j’ai décidé de cadrer ma problématique sur les différents sens qu’attribuent aujourd’hui les individus à l’acte de pérégriner vers Compostelle. J’insiste sur l’état de pluralité des différents sens accordés à l’acte pèlerin, et sur le caractère malléable de ceux-ci. La question que je me pose est donc de savoir si le ou les sens donnés au pèlerinage ne sont pas en définitive le fruit d’une mûre réflexion, qui n’aboutit qu’au terme d’un temps liminaire plus ou moins long, déterminé selon la propension des individus à se remettre en question. Si tel est le cas, quelle place prend la marche et le pèlerinage dans cette démarche ? Pour introduire cette réflexion dans mes recherches, il faut donc concevoir le pèlerinage dans une optique processuelle qui englobe les différentes séquences du pèlerinage.

Ainsi, l’objet de mes recherches s’est concentré principalement sur la trajectoire du pèlerin, avant, pendant et après le pèlerinage. L’intérêt de cette démarche est de concevoir le pèlerinage dans un champ d’application qui permet de mieux cerner les actes des individus, leurs tenants et aboutissants. Elle permet, par ailleurs, de saisir la totalité des étapes du pèlerinage : de sa préparation, à son aboutissement et son effet sur « l’après vie » du pèlerin.

En revanche, la plus grande difficulté de cette approche est de savoir limiter le champ d’investigation au temps et moyens impartis pour un D.E.A. J’ai donc limité mon champ de recherche à un échantillon restreint d’individus. En rebondissant sur ce choix méthodologique, je pose les limites même de mon enquête : comment présenter une interprétation exhaustive de la réalité pèlerine, par l’échantillon choisi ?

Je ne peux, en l’état actuelle des choses, orienter l’objet de mes recherches vers un constat empirique du phénomène (en l’occurrence, serait-ce possible ?) ; l’objectif de mes travaux est donc de pouvoir - à défaut d’une analyse ethnographique quasi-exhaustive et complète – proposer une première étape de recherche, consacrée à l’ouverture d’un nouveau chantier anthropologique sur ce thème. C’est pour cette raison que j’opte pour un échantillon restreint, choisi parmi les pèlerins marcheurs, et croisé entre des individus déjà partis, ceux qui sont sur le point de partir, et ceux que j’accompagnerai sur la route. La récolte de matériaux nécessaires a été complétée par l’interrogation des associations Jacquaires, et des individus étant en relation directe, voire indirecte avec les pèlerins.

L’anthropologie me fournira ici un support méthodologique et conceptuel. A l’aide notamment de l’approche comparative et de l’analyse phénoménologique, j’ai tenté de dégager des perspectives supplémentaires, en complément de l’analyse diachronique du phénomène ; l’objectif étant la mise en corrélation des discours et observations recueillis sur le terrain et procéder, par une approche comparative de trajectoires pèlerines, à l’élagage des différents sens propre à chacun et partagées du pèlerinage. Ainsi, l’analyse des données historiques et de celles effectuées sur le terrain m’a permise d’une part, de dresser un début de typologie des différentes significations de l’acte pèlerin au cours du temps et de ses étapes ; et d’autre part, de nous éclairer un peu plus sur les nouvelles tendances qui influencent aujourd’hui le départ de pèlerins vers Compostelle.

Je me suis donc basé sur l’observation directe, en effectuant moi-même le pèlerinage de Saint-Jean-Pied-de-Port à Compostelle au mois de Mars 2004, ainsi que sur la collecte de matériaux par le biais d’entretiens avec d’anciens et nouveaux pèlerins, d’Internet, de la lecture de carnets de voyage, de récits de pèlerins publiés et non publiés… que j’ai pu récupérer.

 

3 – Pour une ethnographie des chemins de Compostelle

 

Comme je désire le faire entendre, l’accroche qui me servira de fil médiateur entre mes axes de recherche est la propension des individus à associer cette quête de sens à l’effort physique de la marche. Sans la pénible dimension corporelle que le pèlerinage de Compostelle introduit dans la démarche pèlerine de l’individu, il ne semble y avoir d’explication manifeste de ce phénomène, du moins, au sens où l’entend le participant. Quel sont donc les liens entre quête de sens et cette dimension de marche au long cours (comme l’appelle les pèlerins) ? Comment rendre compte de cette pratique du phénomène, spécifique aux chemins de Compostelle ?

Pour ce faire, j’aborderai un plan selon trois axes :

1 - Une première partie historique. Celle-ci a pour but de comprendre quelle est l’origine du phénomène et qu’en est-il aujourd’hui. L’analyse diachronique permettra donc de procéder à une sorte d’état des lieux, et par là même fournir une partie des données nécessaires à la compréhension du devenir actuel du phénomène.

2 - Une seconde partie composée de trois chapitres, concernant les pratiques de la pérégrination au long cours. Chaque chapitre encadrera une des trois séquences du pèlerinage, avant, pendant et après.

3 - Enfin, une dernière partie concernant l’analyse de ce que j’appelle la problématique pèlerine.

 

4 – Problématique pèlerine

 

Ce que j’appelle « problématique pèlerine », traduit l’ensemble du processus qui guide l’individu du début, à la fin de son expérience pèlerine. C’est en quelque sorte l’axe de développement continuel sur lequel se base l’évolution de cette expérience pèlerine, avant, pendant, et après le pèlerinage. Elle se caractérise par la formulation et la maturation d’une quête de sens attribués au pèlerinage. Cet axe permet de nous éclairer sur les tendances actuelles des individus, à prendre la route en direction de Compostelle. Cependant, l’état de pluralité et le caractère malléable de cette quête de sens, rendent la tâche complexe. Il faut donc aborder ce phénomène d’une façon qui englobe la totalité des interactions entre d’une part, le pèlerinage et l’expérimentation de celui-ci ; et d’autre part, la formulation de cette quête de sens et son évolution au fur et à mesure. Ainsi, pourrons-nous comprendre si l’acte pèlerin propre à chaque individu, est constitué - ou non - d’un bricolage dont la constitution oscille peut-être entre composantes individuelles et composantes partagées. Chemin faisant, aborder le phénomène jacquaireLe terme jacquaire est employé pour désigner ce qui attrait au pèlerinage de Compostelle, et à l’univers de saint Jacques en général. par ce que j’appelle la problématique pèlerine, conduira à discerner quels rôles jouent la dimension du long cours dans l’acte pèlerin, et permettra d’apporter des précisions supplémentaires sur ce qui fait cette spécificité du pèlerinage de Compostelle. Le choix du terme « problématique » est volontairement utilisé, afin de saisir le caractère évolutif de cette quête de sens, particulièrement personnelle, profondément jacquaire…

 

Signe mettant en scène la coquille Saint Jacques qui sert de repères sur les chemins de Compostelle

 

 

 

 

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