VII – Conclusion

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VII – Conclusion

 

 

« Savons-nous, saurons-nous poursuivre le Chemin ici et maintenant : rester attentifs aux signes qui ponctuent notre vie de tous les jours, nous laisser appeler, continuer à chercher le sens ? »

Citation de pèlerin (Dutey, 2002 : 103)

Le pèlerinage de Compostelle est un phénomène complexe, polysémique. Il s’est vu aujourd’hui réactualisé par des dynamiques proprement modernes, qui ont apporté une multitude de sens nouveaux. Marcher vers Compostelle n’est plus l’apanage des pèlerins catholiques, du moins, plus entièrement. Car il semble que la plupart des pèlerins contemporains se mettent en quête de Dieu, mais aussi des autres et majoritairement de soi…

Ce qui fait la curiosité de bien des jacquets, est cette propension d’accorder une importance prédominante à la dimension du long cours dans leur démarche pèlerine. Ils se dirigent vers le tombeau du saint, vers Compostelle, mais ils le font à pied, à vélo, à cheval, en trottinette... « Les conditions physiques de l’aventure ont une grande importance » disait un pèlerin interrogé (Dutey, 2002 : 118). C’est à travers cette dimension que l’individu fait expérience de ce qui est autre et qu’il apprend finalement à se découvrir. « Signes de plus en plus visibles à mesure qu’on progresse sur le Chemin » expliquait Jack. Avant, pendant et après le pèlerinage, l’individu se confronte à la modulation, la lente maturation de sa problématique pèlerine qui structure et organise à mesure du temps, cette multitude de sens attribués au pèlerinage. Temps de la découverte, temps du silence et temps de la gloire interviennent ici comme les charnières clefs de la dimension du long cours, accentuant du coup, le côté spécifique de ce pèlerinage. Car ces trois temps offrent la possibilité de faire l’expérience d’un temps liminaire particulier, en même temps hors et dans la société, qui entretient une relation privilégiée avec les dimensions symboliques de la quête, de la découverte, de la perplexité, du dépouillement et enfin de la prise de conscience.

Aujourd’hui, tous ces jacquets continuent de se rendre à Compostelle sans trop porter d’attention à une tradition jacquaire biscornue, à laquelle beaucoup de spécialistes n’accordent que discrédit. Saint Jacques repose-t-il réellement à Compostelle ? Aujourd’hui cela n’a plus vraiment d’importance. C’est désormais par centaine de milliers que se comptent les arrivées de pèlerins à Santiago de Compostela. Si au cours des siècles précédents, la figure de Saint Jacques a été employé à de fins stratagèmes, afin de conférer à son archevêché une place non négligeable sur la carte politico-religieuse européenne, aujourd’hui ce n’est plus la peine. Car chaque année le nombre de pèlerins augmente progressivement, lentement mais sûrement. Mais alors vers quoi tous ces pèlerins marchent-ils toujours ?

Je pense que les pèlerins adeptes du long cours marchent vers eux-mêmes, plutôt en eux-mêmes. Car le pèlerinage de Compostelle peut se concevoir comme une sorte de support méthodologique, qui répond à certains ressentis qui malmènent l’individu à un moment de sa vie. L’individu part dans le but de découvrir un moyen de vivre mieux, ici et maintenant. Que l’individu y voit un sens religieux, spirituel, sportif… ou tout ça à la fois, voir plus encore, le pèlerinage au long cours semble offrir la possibilité d’acquérir un nouveau regard sur la vie, sur sa condition… une sorte d’alternative que la plupart découvrent en chemin. A travers l’expérience du long cours, l’individu est visiblement guidé aux portes du « soi », où se trouvent les principales clefs de sa problématique pèlerine. « Je crois sincèrement que l’on revient de Compostelle différent de ce qu’on était », « on se connaît mieux à l’arrivée », « les cartes sont les mêmes, mais la vision du jeu a changé », « Il ne faut pas trop en attendre, le Chemin ne suffit pas »… Le pèlerinage ne change pas inopinément la vie, il ne transforme pas forcément l’individu : il suggère à l’individu comment trouver les moyens de le faire.

Le pèlerinage de Compostelle est un phénomène qui manifeste une forme de liminarité, qui interagit principalement sur la problématique pèlerine de l’individu, en la modulant pendant l’expérience du long cours. C’est peut-être ce qui fait la constante phénoménologique de ce pèlerinage. Partir, c’est faire acte de quitter un état antérieur, consciemment ou non. « Ainsi le pèlerin quitte le sériel et l’habituel. Il sort d’un statut social étiqueté pour vivre dans l’éphémère une nouvelle condition particulière »(Pénicaud, 2001 : 173), qui se dit pèlerine. Cette situation se vit avec son lot d’expériences bonnes et/ou mauvaises, claires et/ou incompréhensibles, douloureuses et/ou agréables… Se dire pèlerin de Compostelle est faire acte de passage d’un état à un autre, qui n’aboutit pas forcément vers ce à quoi l’on s’attendait.

Peut-on alors penser le pèlerinage de Compostelle comme une forme de rite de passage ? Oui et non… Tout dépend de l’importance que l’individu attribue à cette liminarité et aux ritualisations qui la consacrent. Il est sûr que le pèlerinage propose des formes de rite de passage auxquelles le pèlerin peut participer. Qu’il s’agisse de formes traditionnelles et instituées comme la bénédictions des pèlerins, la confrontation avec la statue de Saint Jacques, le passage sous la porte sainte… ou simplement personnalisées comme le fait de se faire accompagner de son entourage le premier jour de marche, de brûler ses vêtements de pèlerins à la fin… l’individu à le choix de vivre et d’accepter ou non la consécration rituelle de son acte pèlerin et de lui conférer une dimension chargé de sens dans sa problématique pèlerine.

Aujourd’hui, il est clair que l’on ne marche pas par hasard vers Compostelle. Mais lorsque l’on sait qu’il existe différentes façons de pérégriner (continue, discontinue, alternée) serait-il prudent de conclure les recherches sur ce phénomène et en tirer une interprétation trop hâtive ?

Les individus ayant un mode de pérégrination alterné ne semble pas interpréter l’acte pèlerin avec autant de paroxysme que pourrait le faire ceux qui ont choisi un mode continu ou discontinu de pérégrination. Il faudrait pousser l’analyse croisée de trajectoires pèlerines à partir de différents points de départ et d’arrivée, sur un plus grand échantillon d’individu choisi parmi toutes les catégories de pèlerins (marcheurs, vététistes…). Il serait aussi intéressant d’accorder une place à tous les pèlerins s’arrêtant avant Compostelle, ne serait-ce que pour situer l’importance de la place que prend la dimension du long cours dans leur démarche et l’évolution de leur problématique pèlerine. Car si la majorité des adeptes du long cours traversent successivement les trois temps clefs du pèlerinage, qu’en est-il de celui qui démarre sa pérégrination sur les cents et quelques derniers kilomètres ? De celui comme Philippe, par exemple, qui marche par tronçons séquencés dans un temps plus ou moins long ? Comment se module et aboutie leur problématique pèlerine ? Quelle place et comment évoluent les thématiques du sacré, de la culture, du dépassement de soi et du caractère thérapeutique dans leur problématique pèlerine ? S’appliquent-elles de la même façon chez les vététistes, par exemple ?

Il serait aussi intéressant de comparer les trajectoires pèlerines jacquaires à d’autres trajectoires pèlerines, comme celles d’individus se rendant à Lourdes, Notre Dame de Fatima…, afin de confirmer ou non si la pérégrination au long cours est un espace liminaire propice à la formulation d’une multitude de sens pas forcément religieux ; ou s’il est possible de retrouver ce type de liminarité et de sens multiples dans d’autres manifestations pèlerines.

J’ai profité de ce mémoire pour poser les bases de mes recherches sur le pèlerinage de Compostelle. Pour l’heure, que puis-je répondre à la question que trouve-t-on sur les chemins de Compostelle ? Principalement ampoules et tendinites… pour le reste, je peux affirmer que l’on trouve pratiques et significations aussi multiples, malléables que singulières. Reste à savoir ce que l’individu souhaite y voir, expérimenter, comprendre, rechercher, ressentir…

 

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