Méthodologie

 

 

 


Le cheminement du choix du sujet :

Initialement, c’est l’intérêt que je porte à cet espace géographique qui m’amène au choix de ce sujet. Avant même de savoir ce que je souhaite étudier, j’envisage de travailler sur la région caraïbe. Je la découvre, lors d’entretiens avec des amis. La description de cet univers et l’apparent fonctionnement paradoxal de ces personnes, suscite en moi un vif désir de mieux connaître l’histoire et la vie de ces îles. Lors de l’année de licence, je m’inscris à l’option de découverte sur les sociétés créoles. Ces deux faits me décident à travailler sur ces sociétés dont la complexité éveille, incontestablement, ma curiosité.

Je me rends une première fois en Guadeloupe et en Martinique, mais sans réelle idée de sujet au départ. J’escompte lors de ce séjour découvrir les réalités sociales de ces îles et ainsi pouvoir définir l’objet de mon étude. Au cours de ce premier voyage, effectué en septembre 2002 (durant un mois), l’idée du sujet se précise. Au cours du séjour en Guadeloupe la famille d’une amie métropolitaine m’accueille, en Martinique c’est une famille martiniquaise qui m’offre son hospitalité. Pendant quinze jours en Guadeloupe je vis, exclusivement dans un cercle de métropolitains. Au cours de toutes les activités proposées, et les personnes rencontrées, je constate qu’aucun guadeloupéen n’est présent. A l’inverse, en Martinique je m’aperçois, que les activités que nous pratiquons, ne nous permettent pas d’avoir des contacts avec les métropolitains, visuellement présent autour de nous.

Au terme de ce voyage, je m’interroge : face aux constats relevés pouvons nous en déduire que ces deux communautés vivent dans un même lieu, l’une à côté de l’autre plutôt qu’ensemble ? Pour répondre à cette question, je m’intéresse aux métropolitains qui semblent être à l’origine de ce clivage. S’ils me paraissent être les responsables de la séparation entre les deux groupes, c’est parce que par leur arrivée sur l’île, ils font intrusion dans une communauté établie. Il me semble alors logique, qu’ils fassent ou entreprennent de faire les efforts nécessaires pour assurer leur insertion dans cette population.

Le choix de la Martinique, pour faire cette étude plutôt que la Guadeloupe est induit, par l’opportunité qui m’a été offerte d’être hébergée pendant trois mois dans une famille martiniquaise. Cette proposition me permet de vivre au cœur de la société martiniquaise. Ainsi je peux mieux observer les difficultés rencontrées au quotidien par les métropolitains, dès leur arrivée sur l’île.

Les conditions d’enquête et son développement :

Les conditions d’enquête sont les suivantes : je m’installe pendant trois mois en Martinique (février, mars, avril 2003). Une famille martiniquaise m’accueille, elle réside à Fort-de-France. Mon objectif est de rencontrer des métropolitains, pour des entretiens, afin de mener à bien ma recherche. Lors de mon premier séjour, des relations me communiquent les coordonnées d’un prêtre martiniquais qui possède des notions en anthropologie et a une bonne connaissance de sa société. Je le rencontre et nous convenons que lors de mon futur séjour en Martinique (trois mois), il me présentera des métropolitains de sa paroisse, avec lesquels je pourrai commencer à travailler. Consciente que passer par son intermédiaire, risque d’influencer d’une manière ou d’une autre les personnes qu’il me présentera, je considère toutefois, son aide comme un moyen d’obtenir les premiers contacts.

A mon arrivée, au mois de février, je ne réussis pas à obtenir un rendez-vous rapidement avec lui. Je ne souhaite pas perdre trop de temps, je décide de rencontrer à mon initiative des métropolitains. En circulant dans Fort-de-France, j’aborde une jeune femme. Je me présente avec maladresse, utilisant toutes les formes de convenances et d’excuses qui me paraissent nécessaire à cette approche. Je lui fournis toutes les indications lui permettant de m’identifier. Je lui expose le sujet de mon étude et ce que j’attends d’elle. En découvrant, l’intitulé de mon sujet elle sourit, elle me donne ses coordonnés afin que je la contacte pour que nous puissions fixer un rendez-vous.

Je suis surprise de la facilité avec laquelle elle accepte de contribuer à cette étude. Je m’attendais à devoir argumenter longuement afin de susciter son intérêt et sa participation. Sceptique, je l’appelle le soir même, j’appréhende, cette fois-ci, un refus de sa part. Elle dissipe mes craintes, et me donne un rendez-vous. Je peux effectuer mon premier entretien. Je réitère l’expérience à plusieurs reprises, et toutes les personnes que j’aborde, acceptent de passer un entretien. Par le biais de leurs réseaux de connaissances, je me retrouve alors, avec beaucoup de personnes à interroger. Je n’essuie aucun refus. Lorsque je sollicite, la participation à mes travaux, à une personne qui ne me connaît pas, dans une relation de face à face dans la rue ou par téléphone, toutes font l’effort de m’accorder le temps nécessaire à ces entretiens. Ce constat s’explique par trois raisons :

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mon statut d’étudiante, position intermédiaire entre l’adolescence et le monde des adultes, rassure. Le travail de recherche de l’étudiante lui permet d’accomplir ses études. De même poursuivre des études longues est relativement bien apprécié dans notre société où un haut niveau scolaire est connoté positivement. Le souhait d’obtenir un entretien est perçu comme une demande d’aide pour réaliser un travail permettant l’obtention d’un diplôme. Dans ce contexte peu de personnes osent refuser.
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Etant une fille je donne l’apparence d’être inoffensive. Cet état est renforcé par mon attitude hésitante et maladroite dans ma manière d’aborder les gens. Ce côté un peu naïf et innocent, me rend plus « attendrissante » qu’inquiétante.
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mon appartenance au groupe des métropolitains, me permet d’avoir une approche plus facile avec ce groupe. Je suis accueillie sans méfiance. Dans le contexte local où ils sont minoritaires, ils peuvent supposer que je suis réceptive aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Effectuant un cours séjour sur l’île, ces personnes savent qu’elles ne me reverront pas. Cette certitude les autorise à me répondre et à me dire ce qu’elles pensent réellement, sans crainte d’avoir à subir mon jugement, par la suite.

 

Préalablement à la rencontre avec ces personnes, j’établis un guide d’entretien qui s’est enrichi et complété au fil du temps. Les rencontres durent en moyenne deux heures. Ce temps est nécessaire. En effet, le sujet abordé est délicat puisqu’il demande aux métropolitains de parler d’eux, et de répondre parfois à des questions très personnelles. Il faut un temps de paroles très formel en début de discussion. J’aborde l’entretien par une série de questions : sur leur date d’arrivée, sur ce qu’ils connaissent de la Martinique…, puis, utilisant des propos de personnes déjà rencontrées, qui me servent de support, la discussion peu à peu s’enclenche et la personne se risque, de plus en plus et arrive à exprimer son opinion puis à raconter son expérience.

J’ai interrogé 28 métropolitains. Je n’inclus pas dans mon analyse deux d’entre eux, car vacanciers de longs séjours (trois mois en Martinique tous les ans). Leur situation, ce qu’ils vivent au quotidien, ne correspond pas à la réalité des personnes qui ont quitté la France pour s’installer sur l’île.

 

Pour les entretiens passés avec des martiniquais, deux seulement peuvent être considérés comme formels, c'est-à-dire enregistrés. Plongée au cœur d’une famille martiniquaise, j’ai mainte fois eu l’occasion d’interroger des personnes lors de réunions de famille ou lors de sorties diverses, accompagnée par un membre de la famille. D’origine métropolitaine, et selon les intentions de la personne que j’ai en face de moi, la discussion n’est pas toujours objective et enrichissante. Dans les propos qui me sont restitués tous ces indicateurs sont pris en compte. Cependant en arrivant à me mettre à distance de mon groupe d’appartenance (vivre au sein de cette famille, m’y a beaucoup aidé), en accentuant volontairement un côté naïf, (qui correspond à mon statut de novice au sens où le définit GoffmanGoffman dit, en s’adressant à ses étudiants : « Vous ne devez donc pas être trop amical, mais il faudra vous ouvrir comme vous ne l’avez jamais fait dans votre vie. Vous devez vous préparer en particulier à essuyer quelques rebuffades. Il ne faudra pas vouloir à tout prix vous mettre en valeur et faire le malin par de bons mots. Il faut au contraire vous montrer niais. » ), en me rendant suffisamment disponible, des échanges furent possibles. Ce mélange de disponibilité, d’ignorance et de modestie face à la population étudiée est un caractère de l’observation participante, que je pratique le plus souvent lorsque je suis en présence de martiniquais. Evidement ce mode de faire peut être aussi utilisé lors d’entretiens avec les métropolitains. Dans cette situation, il me faut feindre d’ignorer, lors de chaque entretien, les propos généraux maintes fois entendus, en donnant l’impression de les découvrir.

Vivre dans cette famille martiniquaise, pendant trois mois, ne m’a pas permis de savoir ce que les martiniquais pensent des métropolitains (à part une vision stéréotypée), et comment ils gèrent leur présence. L’impossibilité d’obtenir ces informations vient notamment de mon origine : métropolitaine, il est évident que les personnes ne peuvent pas affublés à ce groupe des défauts. Cette expérience m’a permis de mieux connaître la société martiniquaise, dépeinte au travers du quotidien par chacun des membres de cette famille.

 

Mes matériaux d’enquête relevés au terme de ces trois mois, sont principalement des entretiens avec des métropolitains et des observations sur la société martiniquaise. Je n’ai finalement que peu de matériaux sur les situations d’interactions entre métropolitains et martiniquais.

 

Difficultés du terrain :

Comme je l’ai l’évoqué, je n’ai pas réellement connue de difficultés pour m’entretenir avec des métropolitains, ou pour rencontrer des martiniquais. J’ai pris soin de toujours bien relever le contexte, les intentions, et les intérêts de chacun dans leurs discours. Cependant, la difficulté que j’ai rencontrée lors de cette étude, fut ma tendance à prendre position pour les locaux. Positionnement, que j’avais avant de commencer mon travail sur le terrain. Il faut, alors sortir du mythe de l’autochtone. Vivre trois mois dans la famille martiniquaise, m’ont permis de relativiser.

Métropolitaine en Martinique, hébergée par une famille locale, ma situation correspond totalement au thème de mon étude. Je dois (dans un laps de temps plus réduit), d’une certaine manière m’adapter à ce nouvel environnement. Certaines personnes me demandent si j’effectue cette étude dans le but de venir m’installer par la suite en Martinique. D’autres m’interrogent sur mon adaptation sur l’île, y étant autant immergée qu’eux.

La difficulté est de ne jamais pouvoir me détacher de mon sujet, attendu que mes expériences participent elles aussi à la constitution de mes matériaux. Les seuls moments où finalement je sens que je ne m’observe plus moi-même, sont les moments où je me rends à l’université Antilles-Guyane de Schoelcher. Je reprends alors mon statut d’étudiante. La faculté est un cadre que je connais, rassurant, il me permet (même si j’y suis encore pour mon enquête) d’atténuer ma constante attention à tout ce qui m’entoure.

Autre singularité qui caractérise mon travail, ma présence dans une famille martiniquaise, vivant au cœur d’un quartier populaire de Fort-de-France. Pendant ces trois mois (un peu moins vers la fin de mon séjour), je suis la curiosité des habitants du quartier. Jeune fille j’attire encore plus celle des messieurs. Dans un souci de protection, j’utilise un certain humour amer, qui déclenche le rire chez mes interlocuteurs. Il est évident que cette attitude ne peut être tenu qu’un certain temps. Elle s’atténue relativement à partir du moment où je me rapproche des membres de la famille qui m’hébergent, et avec qui, je partage des instants de leur vie. En ces circonstances, je me comporte quasi naturellement.

La dernière difficulté que je rencontre, c’est la pénurie d’ouvrages correspondant à mon sujet. La société, la culture et la population martiniquaise, sont très étudiées. Par contre, les écrits sur les métropolitains sont rares. Dans plusieurs ouvrages, je constate que leur existence est notée, mais aucun n’aborde une étude approfondie de cette population. Ils sont évoqués dans les rapports de classes, il est précisé qu’ils ne font pas partie de la hiérarchie locale, puisqu’ils sont en transit sur l’île. Ce manque de référence est un inconvénient surtout avant d’entamer le travail sur le terrain, à l’époque je ne possède aucun matériau. Le foisonnement de textes sur la société martiniquaise a parfois capté mon attention sur des problèmes ne correspondant pas toujours à mon sujet, en particulier lors de la rédaction de mon document.

 

Particularité de cette étude :

Le lieu de cette recherche est déjà un particularisme. Les départements d’outre-mer prennent une place particulière dans l’ethnologie, ils sont à la fois proche et loin. Proche par certains aspects culturels, nationaux et sociaux, mais éloignés au niveau géographique, physique et identitaire. La question que nous pouvons nous poser : une étude en Martinique correspond-t-elle à l’idée que la plupart des personnes se font de l’ethnologie ? Pour celles-ci, l’ethnologie est une science qui étudie ce qui est loin de nous, or la population vivant en Martinique est de nationalité française, et détient des traits culturels français identifiables. Dans ce travail en particulier, la frontière est encore plus floue puisque la population étudiée, éloignée géographiquement, nous est semblable. Nous pouvons dire que cette recherche est l’étude du proche dans un certain lointain.

 

Mais la vraie particularité de ce travail est la population étudiée. En effet, partir en Martinique pour étudier les métropolitains peut prêter à sourire. Les martiniquais sont eux-mêmes surpris de ne pas être l’objet principal de l’étude. L’intérêt de cette étude, est de s’intéresser non pas à celui qui migre et qui se trouve en position d’infériorité dans la société qui l’accueille, mais de porter un regard de chercheur sur la personne qui occupe une position dominante dans sa société d’origine et qui à cause de son déplacement se retrouve minoritaire dans son nouveau cadre d’accueil. Il est intéressant alors d’observer comment il réagit à cette situation, comment il s’y adapte, quelles attitudes il adopte et pourquoi il a voulu partir. Nous notons que son lieu de migration est spécifique. Historiquement sur cette île, il occupe depuis toujours, une place dominante alors qu’il est numériquement minoritaire. Empli d’un sentiment de supériorité par rapport à la population locale, ayant connaissance de l’histoire de l’île, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas le même vécu, la même éducation que les blancs créoles, en conséquence ses réactions sont différentes. Ce sont donc celles-ci, qu’il va être intéressant d’observer et d’étudier.

 

Une étude générale :

Comme précédemment noté, peu de travaux sont rédigés sur les métropolitains dans les Antilles. En conséquence une masse considérable d’informations et de matériaux a été relevée sur le terrain. Le temps m’étant imposé, je n ‘ai pas pu tout consigner, de nombreux détails ont dû m’échapper. Dans ce rapport, je ne peux pas exploiter tous les matériaux que j’ai récoltés au cours de ce séjour, certains sont évoqués rapidement. Un afflux de détails aurait encombré ce travail. Je regrette de ne pas avoir pu travailler autant que je l’aurais souhaité les entretiens que j’ai effectués. J’aurais aimé pouvoir décomposer les divers discours des métropolitains, analyser les termes qu’ils emploient : par exemple pour évoquer la France en comparaison au champ lexical employé pour parler de la Martinique. Ou encore comment ils parlent de leur « chez eux » en métropole par rapport à ce qu’ils considèrent leur propriété en Martinique.

C’est pour ces raisons que cette étude peut paraître très générale et parfois pas assez approfondie, par rapport à l’ensemble des situations et des attitudes des métropolitains. Certaines parties de cette étude peuvent faire à elles seules l’objet d’une recherche.

Ce travail ne représente qu’une facette dans l’approche de cette communauté en Martinique. D’autres peuvent être exploitées.

Cette étude peut être considérée, comme une première approche de cette population et de ses relations avec les locaux.

Il est certain, par conséquent, que ce travail ne représente qu’une vision que l’on peut avoir sur cette communauté en Martinique. D’autres pourraient être trouvées.

C’est pourquoi cette ne peut être considérée que, comme un premier « déblayage » sur cette population, et son rapport avec les locaux.