Chapitre six : Etude de cas

 

 

 

Nous allons nous intéresser à l’analyse de trois récits de vie de métropolitains afin d’étayer l’étude théorique. Nous mettrons en évidence les éléments qui semblent dès leur arrivée déterminer une orientation vers l’un ou l’autre processus d’acculturation qui induit leurs attitudes.

 

1. Madame B.

Madame B. agricultrice , vit sur son exploitation dans la campagne de Saint Joseph avec son mari, lui-même agriculteur. Elle arrive en Martinique en 1978, invitée par un « ami de cœur »Citation de l’expression employée par Mme B. originaire de l’île et rencontré à Paris lors de l’un de ses voyages. Avant son arrivée, elle ne sait rien de la Martinique, n’y est jamais venue, mais elle connaît toute l’histoire de l’île, grâce à un travail de documentation. C’est son ami qui lui a suscité cette envie de découvrir ce monde qu’il évoquait. Elle ne vient pas pour effectuer un séjour, elle envisage dès son arrivée de s’installer, rien ne la retient en métropole. Elle est accueillie dans le milieu martiniquais de son ami. Elle est donc immédiatement en contact avec la population locale. Lorsqu’elle prévoit de rejoindre cette personne, elle n’a pas recherché de travail à partir de la métropole. Sur place, elle est employée dans un hôtel en tant que secrétaire de direction. A ce poste, elle va s’engager syndicalement et lutter avec les salariés martiniquais pour leurs droits. Par cet engagement elle lie des amitiés avec le personnel de l’hôtel, et rencontre également l’homme qui deviendra son mari, par la suite. Ils décident d’acheter un terrain sur la commune dont il est originaire afin de créer une exploitation agricole.

Dès son arrivée d’après son récit, Madame B., est admise dans un réseau de connaissances locales, ce qui lui permet de tisser des liens avec le monde martiniquais. C’est volontairement qu’elle évite de développer des relations avec des métropolitains dont elle sait par ailleurs qu’ils sont issus d’une autre origine sociale qu’elle (à cette époque les métropolitains détiennent la plupart des postes à responsabilité), et qui certainement ne partagent pas ses idéaux. Madame B. lie des connaissances par l’intermédiaire de sa religion : le bouddhisme. La pratique de cette religion lui a permis d’acquérir une certaine tolérance.

En 1978, hormis le secteur des fonctionnaires, les métropolitains ne sont pas très nombreux. En conséquence, sa présence dans un domaine autre que la fonction publique, lui permet d’être acceptée par l’ensemble de la population. Son engagement syndicaliste, ses prises de positions à l’encontre des patrons métropolitains, sont très appréciées, dans un climat social où d’ordinaire les métropolitains sont solidaires entre eux.

Nous constatons que dès le départ, certains faits facilitent l’admission de Madame B. dans la société martiniquaise. Par la suite d’autres éléments vont participer à englober Madame B. dans la vie locale. Il s’agit de l’importance du temps qu’elle a séjourné sur l’île, et de son mariage avec son époux actuel.

Nous notons au travers de l’expérience de cette femme, mais aussi lors d’autres entretiens, que la durée du temps de séjour des métropolitains sur l’île est important aux yeux des martiniquais. L’appréciation des martiniquais sur les métropolitains se modifie lorsque ceux-ci affirment qu’ils résident sur l’île depuis dix, quinze ou vingt ans. La longueur du séjour stipule à l’Autre que, le résident a une bonne connaissance de l’île et des évènements qui s’y sont déroulés. Toutefois, les martiniquais s’aperçoivent rapidement, de l’arrivée récente ou non des métropolitains, soit parce qu’ils sont connus pour une raison professionnelle ou autre (engagement, dévouement, actions sur le terrain ; car avec le temps ils peuvent voir si les paroles se transforment en actes ou pas, c’est un moyen de juger la personne…), soit parce que leurs attitudes laissent transparaître les codes culturels qu’ils ont intériorisés. Ceci se caractérise par l’acquisition de petits détails au quotidien, observés au fils des années, et dont ils ont appris l’utilité. Ce comportement est un indicateur de leur intégration à la population locale. Ces détails peuvent aussi bien être le respect des usages de salutations comme dire bonjour lorsqu’on rentre dans un lieu public, ou dire bonsoir dès midi passé, ou encore respecter le code de l’accolade qui consiste à se donner une bise en déposant une fois les lèvres sur la joue, pour ensuite la tendre et en recevoir une en retour.

Son mariage est un autre élément fondateur de son intégration sociale. Avant de se marier, le couple a vécu en concubinage. La population de la commune de Saint Joseph ne savaient pas, alors, comment ils devaient considérer Madame B. C’est pour cette raison qu’ils décidèrent de se marier afin que madame puisse obtenir un statut, aux yeux de tous. En effet, après cette union Madame B. s’aperçut qu’elle obtint au sein du bourg, le statut de Madame, la femme de monsieur D. Le mariage avec un autochtone prouve le désir de Madame de s’ancrer en Martinique. L’installation, le mariage démontrent son souhait de rester sur l’île à la différence de la majorité des métropolitains. La population locale peut effectuer un rapprochement, voire se lier d’amitié.

Après son mariage, Madame B. remarque que l’attitude des personnes de la commune a changé à son égard. Le mariage mixte peut faciliter l’intégration du conjoint ou de la conjointe du fait de l’accueil dans une famille connue localement. Cependant, l’arrivée d’un métropolitain ou d’une métropolitaine dans une famille martiniquaise, n’est pas toujours appréciée. L’entrée dans une famille locale en tant que gendre ou bru n’est pas forcément une aide à l’insertion sociale. Il arrive que la famille rejette ce nouveau membre, en adoptant des attitudes d’indifférence ou en lui faisant ressentir qu’elle n’est pas considérée comme un membre de la famille. Plusieurs explications sont plausibles face à de telles réactions : la crainte de voir son enfant partir vivre en métropole, de le perdre (l’éloignement empêche de fréquentes rencontres). L’arrivée d’un métropolitain dans la famille peut, donc, être associé à l’idée de l’enlèvement d’un de ces membres. Une seconde hypothèse peut être énoncée : la présence d’un métropolitain dans une famille martiniquaise peut rehausser le prestige de celle-ci. Or, paradoxalement, afin de ne pas reconnaître l’impact positif qu’apporte ce membre à la famille, celle-ci dénie l’importance de cette arrivée dans le groupe familial. L’attitude de ces familles martiniquaises peut s’expliquer par le rapport ambigu qu’entretiennent les martiniquais avec les « races pures », quelle soit blanche ou noire. L’homme noir, d’origine africaine, renvoie l’antillais à ses origines et à l’histoire de l’esclavage (la soumission). L’homme blanc est à la fois le modèle, l’homme auquel le martiniquais veut ressembler, mais qui est aussi son colonisateur. Il est donc autant recherché qu’haï.

Le mariage mixte peut être un support pour l’insertion sociale, mais devenir un handicap en fonction des rapports que le conjoint décide d’entretenir avec sa famille. En ce qui concerne Madame B., son mari s’apercevant de l’attitude peu amicale de sa mère envers son épouse, décide temporairement de limiter ses relations avec elle. Par la suite, leurs relations se sont améliorées

Ce témoignage nous permet de noter que Madame B. a vécu une acculturation par processus de synthèse, selon les termes que nous avons définis dans le chapitre précédent. En effet, volontairement Madame B. a cherché à s’éloigner de son groupe d’appartenance, pourtant présent sur l’île, pour adopter le code culturel en vigueur. Elle a fait le choix d’aller vers la population et la culture locale.

 

2. Monsieur O.

Monsieur O. découvre la Martinique lors d’un séjour touristique qu’il effectue avec son amie de l’époque, suite à l’obtention de son diplôme de chirurgien dentiste. L’île lui plait ainsi qu’à sa compagne. Il décide d’effectuer un deuxième séjour afin de prospecter auprès de cabinets dentaires qui seraient en quête d’un associé. Plusieurs propositions lui parviennent, il accepte l’une d’entre elles, et revient une troisième fois pour s’installer sur l’île. Son amie qui a terminé ses études l’accompagne. Ils arrivent en 1998. Ils sont venus principalement pour « bouger », parce qu’ils trouvent amusant et exotique de venir habiter en Martinique, mais aussi pour acquérir une première expérience professionnelle. Ils s’installent à Sainte Luce et au cours des six premiers mois, ils ne rencontrent que peu de personnes. Ils occupent majoritairement leur temps entre leur profession et la découverte de l’île. Quelques rencontres occasionnelles avec des martiniquais ne les satisfont pas, ils perçoivent un grand écart culturel entre les deux populations. L’absence de relations amicales, le manque de sorties nocturnes, habitudes adoptées lors de leurs études, entraîne le couple à se replier sur lui-même. Progressivement leurs relations se dégradent. Un an, après leur arrivée, la jeune femme regagne la métropole. Monsieur O. se retrouve seul et se rapproche de ses collègues du monde médical. Par leur intermédiaire, son réseau de connaissances se multiplie « par 10 en un mois », selon ces dires. Il partage de nombreux loisirs avec son nouveau groupe d’amis qui se compose de métropolitains et de martiniquais ayant passés plusieurs années en France ou y étant nés. Grâce à ce réseau il rencontre sa femme en 2001. Parisienne d’origine guadeloupéenne, elle est avocate. Fin 2002, la construction de leur maison s’achève, début 2003, naissance de leur fils. Mais le couple ne supporte pas la mentalité locale. Pour cette raison, ils envisagent de quitter la Martinique, dans cinq ans, au terme du remboursement de leur maison. En prévision de ce retour, ils épargnent pour s’installer en métropole dans de bonnes conditions.

Le processus d’acculturation que Monsieur O. a vécu, correspond au processus de réinterprétation ou d’acculturation matérielle. Il a partagé son environnement en deux secteurs auxquels correspond pour chacun, un code culturel particulier. Le code culturel de la société d’accueil pour les relations de travail, le sien pour son cercle familial et amical. L’utilisation du code culturel martiniquais est réduit : son associé est un métropolitain, et la plupart de ses patients martiniquais, entretiennent de bons rapports avec lui, car respectueux du prestige de la profession qu’il exerce (CF chapitre quatre). En conséquence, la vie de Monsieur O., en Martinique diffère peu de celle qu’il aurait en métropole. En effet, ses échanges avec les martiniquais se limitent à les croiser quotidiennement, dans les espaces publics et commerciaux. Par cet exemple, nous percevons à quel point la stratégie d’évitement peut s’organiser, pour n’entretenir aucun contact avec la culture locale. Nous pouvons dire qu’il est possible pour des métropolitains de vivre en Martinique sans jamais se confronter au code culturel de cette société. Toutefois, deux éléments s’imposent à Monsieur O. : le temps et le rythme, comme à tous les métropolitains qui vivent sur l’île.

A travers ce récit, nous constatons que ce dentiste refuse de prendre en compte la culture martiniquaise, il ne trouve que des défauts, de l’incohérence dans le fonctionnement de cette société et réprouvent le comportement des autochtones. A leur sujet il n’a que des paroles véhémentes et des propos négatifs. Face à ce qu’il considère comme une hostilité permanente (les originaires), il crée un « cocon » dans lequel il s’épanouit, il s’agit de son cadre et de sa vie familiale. Ils sont installés confortablement dans une maison qu’ils viennent de faire construire au Vauclin, dans un quartier majoritairement habité par des métropolitains. Le socle familial est l’élément essentiel dans l’attente du départ.

Certains points de ce récit peuvent être développés. Tout d’abord, nous notons que Monsieur O. arrive accompagné de son amie de l’époque, puis ils se séparent, la jeune femme retourne en métropole. Nous observons que cette situation n’est pas un cas isolé. Plusieurs témoignages relatent la séparation de jeunes couples après plusieurs mois passés en Martinique. Une explication peut être évoquée : le manque de contact avec l’extérieur entraîne à terme l’essoufflement de la dynamique de couple. Une autre raison nous a été donnée plus fréquemment. Il s’agit des tentatives de séductions entreprises par les martiniquais envers la femme du couple. En effet, la femme est le plus souvent courtisée. Parfois, les martiniquaises tentent de séduire également les hommes. Il n’est pas rare de rencontrer des personnes venues en couple, se séparer. Au terme de cette relation, certains demeurent en Martinique, d’autres préfèrent partir, mais pas nécessairement pour rentrer en métropole, d’autres destinations sont aussi fréquentes comme le Canada.

Monsieur O. a épousé une femme originaire des Antilles, née dans la région parisienne. Ce couple mixte est un couple singulier aux yeux de la population locale qui diffère du couple mixte constitué par Madame B. avec son époux. Ce couple n’est pas considéré comme un couple mixte par la population locale car la femme de Monsieur O. n’est pas considérée comme une originaire. Elle est appelée péjorativement par les martiniquais une « negropolitaine ». C’est-à-dire : une personne qui a la couleur locale, mais qui ne connaît pas, renie ou a oublié les codes de la culture antillaise. Le groupe de negropolitains se constitue, pour les martiniquais : de personnes originaires des Antilles, nées ailleurs ou de locaux partis vivre dix, quinze ou vingt ans, en France. Lors de leur retour sur l’île, ces personnes sont affublées de cette dénomination. Elles ne sont pas très estimées, car les martiniquais ont l’impression qu’elles favorisent l’utilisation du code culturel métropolitain au détriment du code martiniquais. Ces personnes ne peuvent pas masquer qu’elles arrivent de métropole, car leur façon de parler et leur accent diffèrent de ceux qui n’ont jamais quitté l’île. Parfois, leur démarche suffit à les identifier. En conséquence le mariage avec un(e) negropolitain(e) pour les métropolitains ne peut pas être considéré comme une aide à l’intégration. Dans ce cas, outre les résistances du clan familial à l’arrivée d’un nouveau membre, l’ensemble de la population exprime son hostilité à ce couple. L’insertion sociale est d’autant plus difficile que les deux membres du couple y sont confrontés. En autre, leur insertion est différente car les exigences demandées ne sont pas les mêmes pour les deux. Les couples mixtes formés en métropole, entrent dans cette catégorie, et subissent les mêmes contraintes, en Martinique.

Il faut relativiser nos propos en sachant que ces évènements ne se produisent pas au sein de toutes les familles martiniquaises dont un membre est métropolitain. Ce dernier peut avoir de très bons rapports avec sa belle famille. Dans ce cas, le mariage peut être considéré comme une aide réelle à l’insertion dans la société martiniquaise.

 

3. Madame H.

Nous allons nous intéresser au parcours de Madame H. Elle est arrivée avec son mari et leurs deux enfants en 2001. Ils sont tous les deux métropolitains. Ils ont décidé de quitter leur région pour découvrir d’autres horizons, si possible, en dehors de l’hexagone. Elle est femme au foyer, son mari, enseignant. Lors du mouvement du personnel de l’éducation nationale, Monsieur H. a émis deux vœux : être muté soit à la Réunion ou en Martinique. Il est nommé sur un poste de son deuxième choix. Ils ne connaissent pas ni l’un ni l’autre, ce département, avant de partir s’y installer. Madame H. nous avoue, lors de l’entretien que cette mutation désirée, se double d’un intérêt financier, puisqu’ils n’envisagent de rester en Martinique que le temps imposé par l’éducation nationale, c'est-à-dire quatre ans (nécessaire au remboursement de leur frais de déménagement). Ensuite, ils demanderont une nouvelle mutation pour un autre DOM ou TOM, ou bien, ils resteront en Martinique jusqu’à l’obtention d’un poste dans une région de la métropole qui leur convient. Avant leur départ, leur dentiste leur communique les coordonnées d’amis à lui, vivants sur l’île. Madame H. les contacte. Ils lui proposent de chercher une maison à louer, selon leurs critères, puisqu’ils ne peuvent pas se déplacer. Ils trouvent une maison dans un quartier calme de Sainte Luce, où demeurent autant de foyers martiniquais que métropolitains. A leur arrivée, la famille met quelques mois à s’adapter au fonctionnement de l’île. Les enfants s’interrogent sur les raisons de leur départ et regrettent leur maison, leur famille, leurs amis et leur école, ici, ils ne connaissent personne. La fille aînée âgée de quatre ans, vit douloureusement la séparation d’avec les membres de la famille, et notamment d’avec ces grands-parents, dont elle était très proche. Madame H. a vécu une période dépressive. Son manque d’activité et ses échecs relationnels avec les locaux, accentue son sentiment de solitude. Pendant un certain temps, la famille se replie sur elle-même. Courant 2002, leur troisième enfant naît. Peu à peu, le couple rencontre des métropolitains et partage des activités avec eux. C’est à partir de ce moment qu’ils ont le sentiment d’être chez eux. Madame H. dit continuer à tenter de sympathiser avec des martiniquais, mais elle se heurte à des différences culturelles qu’elle ne sait pas comment gérer.

L’histoire de Madame H., et de sa famille, démontre qu’il s’agit d’une acculturation partielle, semblable à celle de Monsieur O., mais avec une différence significative qui caractérise les deux cas. Contrairement à Monsieur O., la famille H. souhaite connaître le monde des martiniquais, mais à cause de leur manque des connaissances des mœurs locales, ils sont et deviennent maladroits dans le contact. Ils sont impressionnés, craintifs face aux différences, et ils ne savent pas comment agir, et se comporter. Nous avons relevé dans les propos de Madame H. un sentiment de culpabilité par rapport à l’histoire de l’île. Elle ne se sent pas responsable de l’esclavage qui a eu cours en Martinique, mais elle estime avoir un devoir d’information du comportement des métropolitains vis-à-vis de la population locale. Appartenant au groupe dominant, elle éprouve une responsabilité dans les mauvaises attitudes que cette communauté a envers les martiniquais. C’est pour cette raison, qu’elle n’hésite pas à dénoncer le fonctionnement ou les propos de quelques uns de ces amis pour montrer que certains métropolitains sont excessifs dans leurs attitudes et qu’elle les réprouve. Elle atteste que certaines personnes viennent avec un esprit de colon : « la Martinique est française, donc ils sont ici chez eux, et ils se comportent comme s’ils étaient chez eux, voire encore plus mal parce qu’ils sont justement ailleurs, et ils restent entre eux ».

Elle-même ne fréquente que peu d’antillais. Elle justifie son comportement en affirmant : que les martiniquais n’ont pas réellement envie de lier une amitié avec des métropolitains, que les différentes façons qu’ils ont chacun de concevoir les choses, les empêchent d’avoir des points communs les rapprochant. Elle nous donne l’exemple suivant : les hommes et les femmes martiniquais sortent indépendamment les uns des autres, tandis que nous, nous sortons ensemble, avec nos enfants. En conséquence, ils y a impossibilité d’organiser des sorties communes. Nous notons que des barrières culturelles existent entre ces deux groupes. Nous relevons à travers nos divers entretiens, d’autres indicateurs qui peuvent être considérés comme des obstacles à la compréhension des uns et des autres. Celui qui est le plus souvent cité par les métropolitains, est le manque de civisme des martiniquais. Par manque de civisme il est sous entendu : le non respect de l’environnement, de la nature (« …ils jettent leurs ordures n’importe où… »), le deuxième grief énoncé : leur manque de politesse (dans les boutiques, les restaurants, qui sont vécus comme des actes « racistes »), et enfin leur comportement sur la route considéré comme dangereux pour tous. Nous avons évoqué la « drague » que les métropolitaines vivent au quotidien comme une agression. Le dernier reproche concerne leur le rythme de vie, interprété par les métropolitains comme de la nonchalance. A la moindre discorde, l’héritage historique est réactivé, renforçant les oppositions entre ces deux populations. Aujourd’hui tous actes ou paroles vécus par les martiniquais comme disqualifiant ou dominant, réactualisent l’histoire de la domination des blancs. Ce fait est aussi vécu comme une barrière par les métropolitains car ils ne pensaient pas que les rapports entre les groupes pouvaient être à ce point là, encore marqués par l’histoire. En conséquence, ils doivent éviter toutes expressions qui établissent un rapport d’inégalité entre eux et les martiniquais.

Le dernier aspect de la société martiniquaise auquel les hexagonaux sont réticents est le rapport, que la population locale, a avec le religieux, et notamment le quimbois. Cette omniprésence de la religion et des superstitions dans les paroles et dans les comportements, met ces nouveaux arrivants mal à l’aise.

Nous observons à travers le récit de Madame H., qu’il existe une grande solidarité entre métropolitains : les personnes que Madame H contacte sur l’île, avant son arrivée, sans les connaître se mobilisent pour lui trouver une maison  afin de lui rendre service. Cette entre aide, ce soutien mutuel se construisent car il y a une notion d’appartenance à la même origine et un même sentiment d’être minoritaire sur l’île. Cette solidarité peut être active avant le départ de métropole, ou se constitue sur l’île en intégrant un réseau de connaissances.

Madame H., nous a indiqué ses difficultés à se déplacer en famille, que les personnes qui vivent seules ne connaissent pas. Face à l’inconnu, d’instinct et d’un même mouvement, la famille renforce ses défenses culturelles pour résister à l’altérité menaçante que représente la société d’accueil. Elle ressert le lien affectif pour surmonter la tension provoquée par les contacts répétés avec cette société. Cette démarche a un côté négatif pour l’insertion de ces membres puisqu’ils ne sont pas des individus à part entière comme ceux qui viennent et vivent seul, mais un groupe homogène qui « envahit » un autre ensemble. La confrontation avec les nouveaux codes culturels se vit de façon d’autant plus délicate que subsistent au sein de la famille les anciens modèles. En conséquence, le contact avec la société d’accueil est d’autant déstabilisant que l’ancien modèle survie au sein de la famille. Alors que le métropolitain venu seul est dans l’obligation d’être en contact permanent avec son nouveau cadre de vie, et dans lequel il est contraint de se constituer de nouveaux repères. Ce repli sur la famille empêche ces membres de faire cette démarche nécessaire à l’acceptation du changement, en se constituant de nouveaux repères. Si ce repli, sur le cercle familial, dure les membres de la famille qui veulent s’intégrer dans la société d’accueil, doivent provoquer une rupture avec ce noyau. Les membres de la famille qui sont les plus à même à créer cette rupture sont les enfants afin d’échapper ou de fuir l’étouffement familial provoqué par le contact angoissant avec l’extérieur. Cette scission ne s’effectue que si les enfants sont relativement âgés et en fonction de la durée du séjour, elle peut ne jamais se produire.

Une autre difficulté que la famille doit prendre en compte, à la différence de la personne seule, c’est de veiller à ce que tous les membres qui la composent, vivent convenablement le changement de cadre. Dans la famille de Madame H. nous notons que sa fille aînée a mis du temps à comprendre le déménagement de la famille. De même Madame H. a vécu une période dépressive. Il n’est pas rare lors des premières années, qu’un membre de la famille « immigrante », psychologiquement plus fragile que les autres, connaisse une véritable dépression. Ce membre est souvent la mère. Elle est contrainte de rester à la maison pendant que son mari travaille, privée de toute activité, de toute compagnie. La solitude et le changement d’entourage provoquent un profond désarroi. Pour pallier à ce sentiment de déprime, la reprise d’une activité peut être une solution, tout comme l’effort entrepris pour rencontrer d’autres personnes (souvent des métropolitains car leur contact est facile, mais aussi parce qu’ils ont connu les mêmes situations). Ou enfin les liens de la famille se resserrent encore davantage, et il n’est pas rare que celle-ci s’élargisse par la naissance d’un nouvel enfant. Cette naissance peut alors être considérée comme un moyen d’occupation de la mère, lui permettant d’atténuer son état dépressif.

Nous avons pu voir que parmi les personnes que nous avons interrogées, 14 d’entre elles sont venues en couple. Sur ces 14 couples nous pouvons dénombrer l’agrandissement de huit foyers, dont la mère n’avait pas d’activité, par la naissance d’un ou plusieurs enfants. (CF annexe 7).

La personne qui vient seule, n’a pas à affronter l’ensemble de ces difficultés. Ce célibat l’autorise à se lier affectivement avec une personne de son choix. Cette fréquentation peut la rattacher sentimentalement à l’île, et favoriser dans une certaine mesure, son insertion sociale. Nous observons que parmi les 12 personnes venues seules, cinq se sont mariées avec une personne originaire de l’île, et trois fréquentent officiellement un ou une martiniquais(e). (CF annexe 7).

 

A travers ces récits de vie nous reconnaissons les deux processus d’acculturation que nous avons développé dans le chapitre précédant, ainsi que les différentes attitudes que peuvent adopter les métropolitains confrontés à ce nouveau cadre. Les diverses trajectoires de ces nouveaux arrivants, et de leur famille, nous permettent de comprendre quels éléments et attitudes peuvent être considérés positifs ou négatifs pour leur insertion, dans la société martiniquaise. Soit ces éléments et attitudes sont acceptés par les martiniquais, soit ils sont en contradiction avec la logique de l’insertion, qui nécessite alors une ouverture (d’esprit et une posture avenante). Il faut retenir que tout groupe ou toute personne, à leur arrivée en Martinique, sont en position d’étrangers.

Nous allons essayer de comprendre comment la société martiniquaise assume la venue de ces personnes originaires de métropole.