Chapitre quatre : Premiers contacts avec la population locale

 

 


Nous savons, à présent, les difficultés que peuvent rencontrer les métropolitains sur l’île et quelles stratégies ils doivent adopter pour vivre autrement ses différences.

Comment s’effectue la rencontre avec la population locale ? Où sont-ils amenés à se rencontrer ? Dans quel cadre (professionnel, loisirs…) ?

Nous tenterons de voir, comment s’établissent ces interrelations, de quelles manières (positives, négatives…). Ce chapitre met en évidence les prémices de l’insertion sociale des métropolitains. Nous définissons l’insertion sociale essentiellement par les relations entretenues avec les différents groupes (de travail, de voisinage…) et par la participation aux activités en dehors du travail.

 

1. Les moyens de rencontre entre métropolitains et martiniquais

 

Nous avons pu remarquer que les rencontres entre ces deux populations se font essentiellement dans deux situations particulières :

    • dans le cadre du travail
    • par la pratique d’activités et de loisirs.

Mais nous allons voir que si ces contextes amènent ces divers individus à se rencontrer, elles n’engendrent pas forcement un rapprochement.

 

1.1. L’activité professionnelle

L’activité professionnelle suscite plusieurs types de relations. Il y a les relations entre collègues de travail, les rapports de hiérarchie, les engagements communs, et enfin ce que représente cette activité professionnelle avec l’extérieur, ou autrement dit aux yeux de la population locale. Au travers de ces relations, chaque rencontre entre métropolitains et martiniquais peut différer. Nous allons par conséquent les étudier une à une pour voir ce qui change dans chaque cas.

 

Dans les relations entre collaborateurs autochtones et hexagonaux, les principaux points de désaccords sont, la différence de rythme de travail. Pour certains métropolitains ce nouveau rythme ne pose pas de problème. D’autres, n’ayant pourtant pas plus de responsabilités, souhaitent plus d’efficacité, de productivité. Ce désir de bien faire son travail, d’aller au-delà de ce qui est demandé, n’est absolument pas compris par les antillais. Ces derniers considèrent plutôt que le travail qu’ils effectuent, ils l’accomplissent à la demande de leur patron. Ils n’envisagent pas, alors, de se fatiguer à la tâche, pour que leur responsable récolte les bénéfices de leur labeur.

Nous percevons un niveau d’investissement dans le travail différent selon les individus. Face à cette divergence de point de vue, ces derniers ne se trouvent pas en position de rapprochement. A l’image du noir, est accolée la fainéantise dans le travail, à celle du blanc l’aspiration à vouloir changer la façon de travailler des martiniquais. Dès le départ s’instaure donc, une méfiance réciproque. Le martiniquais considère que le métropolitain, au même poste que lui, est un concurrent direct, qui peut le remplacer, à tout moment. Cette idée contribue à accentuer l’attitude de méfiance.

Ensuite en fonctions de certaines affinités que les personnes se découvrent, des rapprochements peuvent se réaliser.

 

Dans les rapports de hiérarchie, les préjugés que nous venons d’aborder s’expriment, de manières encore plus marquées. Il nous faut noter avant tout que lorsqu’il y a des rapports de hiérarchie entre hexagonaux et autochtones, il est fréquent que l’employeur soit un métropolitain. En effet, lorsque l’employeur est martiniquais il privilégie, par solidarité, l’embauche de locaux plutôt que des personnes originaires de l’hexagone.

Il n’est par rare alors d’entendre encore aujourd’hui, ce que M. Leiris, nous disait en 1955, à savoir :

« L’un des grief principaux qu’on entend formuler contre les travailleurs antillais par leurs administrateurs est : ces gens ont, dit-on, une conception de la vie qui diffère de la nôtre et implique de bien moindre besoins, de sorte qu’ils ne subissent pas les mêmes incitations et ne travaillent que par intermittences, proportionnant strictement leurs efforts à la nécessité de subsister ou au désir d’acheter la chose qu’ils convoitent sur l’instant. »Leiris, M., 1955, Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, p 92.

Les employeurs métropolitains en tant que responsables du fonctionnement d’un organisme doivent surveiller et obtenir le rendement de la part de leur personnel. Hors cette façon de penser exprimée par Leiris en 1955, prévaut encore chez certains. Ils ne peuvent pas s’empêcher de contrôler davantage le travail des locaux qu’ils emploient, et moins, celui des métropolitains. Cependant ils se trouvent face à une population où le souvenir de l’époque esclavagiste pèse encore lourdement sur les relations interraciales. Cela la rend sensible à tout ce qui peut lui paraître une réactualisation des anciennes inégalités. Ils doivent donc faire preuve d’autorité sans excès de rigueur, critiquer sans être blesser, et faire profiter leurs collaborateurs de l’expérience qu’ils possèdent, sans que ces derniers se sentent dévalorisés. En conséquence ces rapports de travail peuvent instaurer de fréquents conflits.

Pour ces raisons, ces relations professionnelles n’établissent pas d’image positive de l’Autre, seuls, des liens professionnels de médiocre qualité s’instituent. Nous observons qu’une personne fortement impliquée dans son travail, bien adapté à son emploi se trouve être peut participant à la vie sociale et se retrouver de ce fait, dans un certain isolement. C’est le cas de ceux qui s’investissant totalement dans leur travail, et par là même se coupent de la réalité sociale qui les entoure. La profession ne favorise pas forcement un échange avec l’extérieur.

 

Un autre aspect à prendre en compte dans le cadre de l’activité professionnelle : les syndiqués et leur engagement. En Martinique les syndicats sont nombreux et puissants. La plupart des travailleurs y sont adhérents, et les mouvements de lutte sont très suivis. Certains métropolitains, déjà syndiqués en métropole, poursuivent leur engagement sur leur nouveau lieu de travail. C’est ainsi que martiniquais et métropolitains se retrouvent côte à côte pour revendiquer leurs droits. Dans ce cas, deux situations opposées peuvent apparaître :

    • l’engagement commun dans la lutte rapproche ces salariés
    • à l’inverse, cette lutte revendicative les éloigne.

Dans la première situation les individus se sentent investit des mêmes volontés de défendre leurs droits et d’améliorer la condition de travail de l’ensemble des salariés. Ce combat unitaire les rapproche.

Dans l’autre cas, un désaccord sur les objectifs à atteindre et les moyens à employer pour y parvenir oppose ces salariés. Effectivement, aux problèmes sociaux en Martinique se rajoute le problème racial, engendrant une détermination jusqu’au-boutiste, pouvant déboucher sur des actes violents. Cette démarche syndicaliste peu répandue dans l’hexagone, surprend et effraie les métropolitains qui se désengagent. L’unité syndicaliste se fissure et provoque une opposition entre salariés métropolitains et martiniquais.

 

Le dernier élément que nous pouvons prendre en compte dans l’établissement des relations, est la profession exercée. La profession confère un statut social aux yeux des martiniquais. Ce statut permet une plus ou moins bonne relation avec la population locale. Effectivement, nous avons pu constater que selon la profession qu’exercent les métropolitains, l’attitude des martiniquais vis-à-vis d’eux peut être différente. Le métier exercé par le métropolitain lui permet d’avoir une place identifiée au sein de la société. Celle-ci est soit reconnaissable à l’œil nu, par l’ensemble des individus, (par exemple : le port d’un uniforme), soit la personne est reconnue par sa profession à une échelle plus réduite, (par exemple : au sein d’une commune). Nous pouvons déjà noter que le fait d’être reconnu par la population est la preuve que l’on y est insérée d’une certaine manière, qu’elle soit positive ou négative. Car l’individu participe à la dynamique sociale. La profession n’entraîne pas le même contact avec la population ; si le travail insère le travailleur dans le système de production du pays d’accueil, cette insertion n’est pas nécessairement corrélative de l’insertion sociale.

En règle générale, la population locale accorde du respect aux personnes qui exercent certains métiers, (enseignants, professions artistiques, médecins ou métiers paramédicaux).

A l’inverse, des professions sont impopulaires aux yeux des martiniquais, et engendrent une forme d’antipathie à l’égard de ceux qui les exercent. Prenons deux exemples : un fonctionnaire et un dentiste.

Le premier est considéré par la population, comme une personne qui vient en Martinique afin d’obtenir une augmentation de salaire et prendre la place que pourrait occuper un autochtone. En conséquence beaucoup de martiniquais pensent que cette personne n’a rien à faire sur l’île, puisqu’elle n’apporte rien à l’île, et à ses habitants.

A l’égard du dentiste, le positionnement est différent. Sa profession nécessite un certain niveau d’étude, de ce fait, il n’entre pas en concurrence pour la recherche d’un emploi. En outre, l’île ne dispose que de peu de spécialistes dans cette branche, son intervention est considérée comme un bénéfice pour la population. Ces professionnels sont reconnus et appréciés par la population qui le leur témoigne par des signes de reconnaissances :

«   Moi j’ai des clients qui viennent du Prêcheur, ça fait 40 minutes de route pour venir, vous les voyaient 5 minutes parce que c’était pas prévue ou que vous pouvez pas les garder longtemps et tout, vous leur faites juste un soin pour les soulager, ils sont hyper reconnaissants, et ils ont 45 minutes de taxi co à se taper pour revenir chez eux. Donc ici on a vraiment,… autant en métropole j’avais pas vraiment l’impression d’être utile, dans le sens fort du terme, autant ici on a vraiment l’impression que si on est pas là, les gens du nord caraïbe, ne pourraient plus se faire soigner. Bon c’est pas vraiment ça, mais c’est pas loin quand même, s’ils ont mal ils peuvent aller sur Fort-De-France ou à la Mainard, mais si on est pas là pour eux y’a un manque de soin, voilà… on a un rôle social et sanitaire de base qui est quand même important, et qu’on ressent plus que quand j’étais en métropole à Toulouse. Quand j’étais en métropole à Toulouse, j’étais le dentiste parmi tant d’autres, numéro, matricule, machin, bidule, voilà c’est ça, alors que là-bas, à Case Pilote on a vraiment l’impression qu’on est utile à la population…, ouais c’est ça on est vraiment utile.  »

Ils le ressentent au sein de leur lieu de travail, mais aussi à l’extérieur parce qu’on les reconnaît, et c’est à ce moment là que des rencontres et des échanges entre ces deux populations peuvent réellement avoir lieu : (il s’agit toujours de la même personne)

«  On rencontre pleins de personnes, quand tu es dentiste comme ça dans le nord caraïbe, je rencontre des gens du nord caraïbe et d’autres. Ce matin j’étais à St Pierre y’a pleins de gens qui me reconnaissent, qui me parlent, qui me propose d’aller à la pêche, ou des trucs comme ça, c’est sympa… et les gens on les rencontre comme ça, quand on sort… Mais je suis qd même bien perçu par les gens, à tous les niveaux c’est super. Je ressentais moins ça en métropole. Putain ! Regarde, là ce matin je suis allé à St Pierre, tout le monde me dit bonjour, comment ça va… venez boire un verre, venez coûtez ça c’est moi qui l’ai fait, tu vois c’est les femmes du marché que je soigne…  ».

Nous constatons qu’au travers de la profession exercée plusieurs types de relations peuvent s’établir. Certaines permettent aux individus, non seulement de se rencontrer, de se rapprocher, de lier connaissance. Nous avons vu aussi, que la profession peut être une aide comme un handicape dans le processus d’adaptation des métropolitains à la société antillaise, qu’est la Martinique.

 

1.2. Les activités extra-professionnelles

L’évaluation de la qualité des sociabilités entre martiniquais et métropolitains à partir des loisirs est difficile à établir. En effet, les réponses que nous avons recueillies lors de nos entretiens, sont souvent contradictoires et la réalité est parfois différente. Dès que la question de la relation avec la population locale est abordée, les métropolitains affirment que leur réseau de sociabilité sur l’île se compose toujours de la moitié de martiniquais et l’autre moitié de métropolitains :

« oh moi, je suis toujours ravie de voir lors des soirées, qu’on organise avec mon mari de voir qu’il y a 50 pourcent antillais, et 50 pourcent métro, et il y a même parfois plus d’antillais .  ».

Nous avons l’impression que le niveau d’insertion sociale dans l’île se mesure au nombre de connaissances martiniquaises par rapport au nombre de connaissances métropolitaines. Le barème de bonne sociabilité est établi par les métropolitains de la façon suivante : 

    • 50/50 : équivaut à une bonne insertion,
    • avoir une majorité d’amis martiniquais à une très bonne insertion,
    • à l’inverse : peu d’amis martiniquais, à une mauvaise insertion.

Les trois quarts des personnes que nous avons interrogées, utilisent ce barème comme support référentiel. Ce mode de calcul ne nous semble pas être un indicateur de la réalité. En effet, il nous paraît peu crédible de diviser son cercle d’amis, en antillais ou non antillais. D’autres indicateurs sont à prendre en compte pour évaluer le degré d’intégration du métropolitain. Le logement, nous dit Isabelle TalTal, Isabelle, 1976, Les Réunionnais en France, est l’une des premières conditions de l’insertion sociale. Le lieu et le type de logement déterminent en grande partie le degré de cette insertion. Hors nous avons constaté que les métropolitains ont tendance à se regrouper, et donc à n’avoir des relations de voisinage, principalement qu’avec des métropolitains.

Nous observons une contradiction entre discours et réalité. Celle-ci se vérifie aussi dans la pratique des activités de loisir. La majorité des métropolitains, reprennent une activité qu’ils exerçaient en métropole, ou découvrent un loisir qu’ils ne pouvaient pas pratiquer en métropole : comme la plongée sous-marine, les sports nautiques tels que le scooter des mers, le kite-surf…

A l’inverse d’autres sports comme le badminton, le bowling, le squash, ont été importés de France par les métropolitains. Ils sont peu investis et pratiqués par les martiniquais. En outre ces loisirs sont onéreux, et donc pas accessibles à l’ensemble des habitants de l’île.

Lors de leurs loisirs, les métropolitains sont plus amenés à rencontrer, leurs congénères que des martiniquais.

Il existe d’autres activités, qui engagent différemment les métropolitains dans la vie sociale de l’île. Il s’agit des associations. Qu’elles soient crées dans le but de regrouper des personnes autour d’un thème, d’une même cause, ou animées par la même passion (quelle qu’elle soit), l’association réunit des personnes autour d’un même engagement. Les métropolitains peuvent alors par leur dévouement et leur disponibilité dans l’association tisser des liens avec des membres martiniquais. Ils peuvent alors, en dehors du cadre associatif, poursuivre leur relation.

A contrario, métropolitains et martiniquais peuvent s’opposer sur la façon de procéder dans l’association. Les premiers ont souvent eut une expérience du monde associatif en métropole. Ils tentent de reproduire leur mode de faire en Martinique. C’est souvent au niveau de l’organisation de l’association ou au niveau de la mise en place de ses activités que les problèmes se surgissent. Si les désaccords sont trop importants, il peut arriver que les uns ou les autres quittent l’association. Soit pour en créer une autre, soit pour faire autre chose. Voici la réflexion d’un métropolitain surpris de voir comment s’est déroulé l’organisation d’un concert dans sa paroisse :

«  Anecdote d’une fête que l’on organisait à la paroisse il y avait un monde fou et tout le monde grouillait, je pensais qu’on arriverait jamais à faire quelque chose parce que tout se préparait à la dernière minute, mais finalement ça c’est très bien passé. Ils ne sont pas organisé mais dans ce bordel ils s’en sortent et pas trop mal en plus. Et puis heureusement qu’ils font comme ça, parce que si c’était organisé par moi peut être qu’on ferait moins de chose parce que mon esprit carré m’empêche de faire les choses au dernier moment.  »

Si cet homme relativise par sa mise à distance de l’événement et par sa propre remise en cause, cette attitude n’est pas habituelle. La majorité des métropolitains n’y parviennent pas. Ils attribuent tous dysfonctionnements aux autres se rassurant ainsi sur leurs capacités. Ce comportement peut perdurer tant que l’on n’est pas obligé de se confronter directement à cet Autre, c’est-à-dire tant que l’on a un réseau à l’intérieur duquel on peut se réfugier pour se protéger et être soutenu. Ce réseau est constitué par la famille et par l’environnement relationnel de proximité,  en général métropolitain. Certains vivants en Martinique depuis plusieurs années, arrivent ainsi, à ne jamais se remettre en cause et donc à ne jamais rencontrer l’Autre, dans sa différence.

Les membres d’association résident sur l’île depuis plusieurs années. Les personnes qui effectuent un séjour inférieur à trois ans, n’adhèrent pas, ou rarement, à une association. Elles préfèrent occuper leur temps de loisir en pratiquant des activités spécifiques à l’île (activités citées ci-dessus ou tourisme inter îles).

Une autre possibilité de rencontre, entre métropolitains et martiniquais, se fait par l’intermédiaire de leurs enfants et les activités périscolaires. Les parents se croisent à la sortie des écoles, se rencontrent lors des activités de leurs enfants. Ils ont ainsi la possibilité d’instaurer un échange et de tisser du lien.

Ces rapprochements s’opèrent plus entre métropolitains qu’avec des martiniquais, en particulier parce que les enfants de métropolitains (à l’identique de leurs parents) ne pratiquent pas les mêmes activités que les enfants des martiniquais. Nous observons que devant les écoles à la sorties des classes, les mamans se regroupent par appartenance d’origine, à part quelques exceptions. Ce clivage interroge. Ces femmes se regroupent certainement par connaissances et affinités, faut-il alors en déduire que les mères martiniquaises et les mères métropolitaines n’ont aucune affinité ? Ou aucun moyen de se trouver des affinités? Une mère métropolitaine nous confie qu’elle souhaite rencontrer des locaux par l’intermédiaire de ces enfants, elle nous déclare :

«  J’ai mes filles qui ont des copines antillaises à l’école, donc c’est vrai que j’essaie de garder des liens en invitant les petites copines à la maison, mais c’est vrai que ça marche pas toujours et finalement c’est plus avec des mamans métros que j’ai des contacts, que j’ai noué des relations... Je crois qu’il n’y a pas une réelle envie des antillais d’aller vers les métros, y’a pas d’animosité, et y’a pas de sympathie non plus, mais bon ceci dit on est tous des êtres humains donc on peut s’entendre, mais c’est vrai qu’a priori ils ne vont pas chercher le contact… »

Le témoignage de cette personne nous permet de relever un élément important de distinction entre martiniquais et métropolitains. Ils n’ont pas les mêmes besoins de faire des rencontres, ni même un rapport analogue à l’amitié. En effet, la société martiniquaise vit sur un système de famille élargie. La famille est très importante au niveau du soutien et de la solidarité, mais aussi au niveau de la sociabilité. C’est-à-dire que les martiniquais s’invitent très souvent entre parents (de lien plus ou moins direct) à l’occasion d’anniversaire, de fêtes religieuses…, mais rarement entrent amis. Les amis sont réservés aux moments de fête. A cette occasion d’ailleurs chaque membre de la famille sort séparément avec son groupe d’amis respectifs. Au quotidien les activités se passent en famille au détriment des amis.

Les métropolitains se retrouvent éloignés de leur groupe familial élargi. La famille, sur l’île est composée des parents et de leurs enfants (famille nucléaire), parfois d’un seul membre. En conséquence, les contacts inter familiaux sur l’île sont quasi inexistants. Par conséquent ils plus besoin d’établir un réseau de sociabilité pour se sentir entouré que les martiniquais. Leur réseau de sociabilité se construit essentiellement avec les liens tissés entre amis. Ainsi au quotidien, lors de fêtes, d’anniversaires, d’activités de loisir, la famille réduite va inviter les amis à partager ces moments. Les adultes se retrouvent entre amis et les enfants jouent avec les enfants des amis. A l’inverse, la famille martiniquaise se retrouve en famille et les enfants martiniquais jouent avec leurs cousins et cousines.

Nous constatons donc une grande différence de fonctionnement entre les deux populations, ce qui engendre une grande difficulté pour créer un rapprochement relationnel.

 

Les activités extra professionnelles ne constituent pas un espace privilégié pour nouer des contacts entre métropolitains et martiniquais pour la simple raison q’ils ne pratiquent pas les mêmes ou que leurs modes d’organisation ne sont pas identiques. On pourrait donc dire que la plupart de ces activités ne sont pas des lieux de rencontre pour ces deux populations puisque certains sont réservés aux martiniquais et d’autres aux métropolitains. Lorsque le contact se pérennise des liens cordiaux et durables peuvent se constituer. Le métropolitain attend beaucoup des liens qu’il souhaite tisser avec les martiniquais, alors que ces derniers ne sont pas forcément en quête de cette relation. Les métropolitains sont déçus et ont le sentiment de n’avoir que des relations superficielles avec la population locale.

 

Pour conclure ce sous-chapitre , nous constatons que ces deux populations ont d’énormes difficultés à se rapprocher l’une de l’autre. Nous pouvons donc nous demander si les métropolitains peuvent s’insérés socialement ou pas ? Y a t il une place dans la société martiniquaise pour intégrer les nouveaux arrivants ? A l’inverse nous pouvons nous demandés si les métropolitains ont vraiment le désir de s’insérer dans la vie sociale de l’île ? Ces questions qui vont être traitées dans les chapitres suivants.

A présent nous allons analyser les indicateurs, les paramètres qui surviennent au moment de la rencontre avec l’Autre : Influencent-ils la rencontre ? De quelles manières ? Et enfin sont-ils déterminants dans l’élaboration de celle-ci ou pas ?

 

2. Les éléments qui se manifestent au moment de la rencontre

 

Une rencontre entre deux individus, se construit à partir d’éléments subjectifs qui influencent la qualité du contact. Ces éléments sont entre autres, la vision que chacun à de l’autre, les stéréotypes, mais aussi, et c’est ce que nous allons voir  tout d’abord: que se passe-t-il lors de la rencontre entre deux personnes de cultures différences.

 

2.1. L’interaction entre deux cultures

Pour appréhender ce qui se passe dans cette situation précise, nous devons prendre en compte l’interaction qui se constitue lorsque les deux individus se rencontrent. Lors de l’échange, le message émis par l’un peut être réceptionné par l’autre de manière différente, en fonction des codes de symboles et des signifiants auxquels font référence ces deux personnes. Pour qu’une interaction se construise, il est nécessaire qu’il n’y ait pas de décryptage à gérer dans le discours de l’Autre. GoffmanGoffman Erving, 1974, Les rites d’interaction observe que chaque groupe, chaque société à un répertoire de symboles et de sens qui lui appartient et qui s’active lors des interactions. Ceci permet aux individus qui adhèrent au même groupe de se comprendre. Les membres du groupe possédant une certaine expérience, maîtrise son emploi. Lors d’interaction tout est important, tout peut être sujet à malentendu, quand les codes ne sont pas identiques. Goffman précise que dans la rencontre tout le matériel comportemental entre en jeux dans l’interaction : qu’il s’agisse des regards, des gestes, des postures, et des énoncés verbaux que chacun ne cesse d’utiliser intentionnellement ou pas dans cette rencontre.

Lorsque des membres de groupes ethniques et culturels différents cohabitent dans une même société, il semble que dans un soucis de protection de son propre code, chacun met en évidence les différences qui le séparent de l’Autre. Sans s’attacher à ce qui leur est commun, ils soulignent l’un et l’autre ce qui les différencient. La culture n’est alors, plus seulement un code vécu, mais est utilisée pour s’opposer à l’Autre. Dans ces rencontres, l’interaction est désinvestie, car les individus se focalisent sur ce qui les différencie.

Lors des rencontres interculturelles, c’est tout ce matériel comportemental de l’Autre qui va être interprété avec le sens et les codes de sa propre culture. C’est pour cela que certains individus sont surpris d’avoir offensés leur interlocuteur par leurs attitudes, car dans leur système de codes et de symboles ils n’ont pas transgressés les règles de l’interaction.

Ces incompréhensions renforcent encore davantage les différences que les individus affichent par leur distinction avec l’Autre.

 

2.2. Les stéréotypes

Dans la rencontre entre les martiniquais et les métropolitains, la part des stéréotypes des uns sur les autres influencent leur interaction. Face à l’inconnu, lors d’une rencontre, l’individu utilise les idées préconçues dont il est porteur pour appréhender l’Autre dans sa différence. Ce mode de comportement, sécurise.

Michel Giraud définit les stéréotypes ainsi :

« Les stéréotypes sont des généralisations qui ne sont pas fondées par induction sur un ensemble de données, mais sur des ont-dits, rumeurs, anecdotes, témoignages insuffisants, expériences limitées. Giraud Michel, 1979, Races et classes à la Martinique. Les relations sociales entre enfants de différentes couleurs à l’école, p 49.».

Nous allons découvrir les stéréotypes que les métropolitains ont sur les martiniquais et vis versa. Il est indispensable de vous préciser que nous possédons plus d’éléments sur la vision stéréotypée des métropolitains sur les martiniquais que l’inverse, car nous avons plus particulièrement étudié cette population.

Les stéréotypes que les métropolitains ont pu avoir sur la population locale a varié selon les époques. Nous étudions ceux qui sont en vigueur actuellement. Un perdure cependant dans les esprits quelque soit les époques. Il s’agit de la position de supériorité ou d’infériorité que chaque groupe occupe sur l’échelle de couleur. Ce stéréotype n’est que l’expression du préjugé racial, produit par l’idéologie dominante, celle du colonisateur, l’homme blanc. Ce stéréotype est actif inconsciemment dans la pensée des métropolitains. Il se traduit par l’idée de l’incapacité des martiniquais à savoir bien faire. Les raisons invoquées pour justifier cet état de fait, leur incapacité, peuvent être parfois fort différentes :

Il se traduise par le sentiment de culpabilité du métropolitain :

«  Mais c’est pas de leur faute s’ils ne savent pas se prendre en charge, c’est à cause de nous, on les a rendu trop dépendants de la France, alors maintenant c’est sûr qu’ils ne savent pas bien faire, comment voulez vous qu’ils sachent faire ce qu’on a toujours fait à leur place ».

Ou de façon agressive envers les martiniquais :

«  Les gens ici, sont incultures. Ils ne lisent pas, la culture n’existe pas. Le cinéma, c’est que des films d’actions, la musique c’est que du zouk, ils ne cherchent pas à s’ouvrir alors qu’ils sont tout près des Etats-Unis, avec le jazz, ou la salsa de l’Amérique Latine. Ils n’ont pas de conversation, intellectuellement, c’est faible, les femmes sont froides, elles ne parlent pas on dirait qu’elles ont peurs, elles sont frigides…. Il n’y a que des relations futiles, superficielles, c’est on fait des grillades, on se baigne on rigole mais on ne parle de rien. Je ne dis pas que nous on ne parle que de choses plus intéressantes mais c’est différent. Puis ils ne savent parler que de sexe, tout le temps.  ».

Ce témoignage met en évidence un stéréotype partagé par la plupart des métropolitains : le manque d’intelligence de la population locale, son incapacité à tenir une conversation. Ils ne disent et ne font que des choses futiles (grillade, baignade, parle de sexe…). Ils ne sont pas sociables, (ils ne sourient jamais, les femmes sont frigides), ils n’utilisent pas la richesse culturelle qui les entoure. Ces préjugés sont découverts, lors de l’arrivée sur l’île par les nouveaux arrivants par transmission orale, par les métropolitains installés (Autres stéréotypes acquis sur l’île par les métropolitains : CF annexes 6). D’autres clichés sont incubés avant le départ :

  • par le récit de personnes qui y sont allés en vacances ou qui y ont vécus.
  • Par des témoignages indirects (« j’ai des amis qui ont habités en Martinique et ils m’ont dit que… »).
  • par l’image que la population métropolitaine a de la vie dans les DOM : « ils travaillent pas là-bas, ils sont en vacances toute l’année, c’est ça la vie sous le soleil, tout le monde est cool… ».
  • par les images que véhiculent les mass-média (films, livres, télévision…).

De ces diverses sources, deux stéréotypes ressortent le plus. Il s’agit comme nous venons de le voir dans la citation du dessus, du fait que parce qu’ils sont sous le soleil les antillais ne travaillent pas, mais aussi que se sont des personnes dangereuses, surtout les hommes.

Il n’est pas rare d’entendre que des touristes se sont fait agressés par des martiniquais, ou encore le récit d’un scénario catastrophe vécu par une famille métropolitaine partie vivre sur l’île. Celle-ci a rencontré drames sur drames : le viol de la mère, l’humiliation vécue par les enfants à l’école parce qu’ils sont blancs, et enfin le cambriolage de leur maison. Une seule conclusion s’impose à cette série d’événements : les martiniquais sont racistes.

Ce dernier stéréotype en particulier prépare psychologiquement les métropolitains, en partance sur l’île, à devoir affronter des difficultés. En conséquence , avant même d’avoir rencontré un martiniquais, ces personnes sont sur la défensive, et prêtes à riposter au moindre danger. A l’arrivée sur l’île, les métropolitains sont habités par un sentiment de crainte du martiniquais. Crainte qui puise ces origines aux premiers temps de la rencontre entre l’homme noir et l’homme blanc. C'est-à-dire qu’elle perdure depuis le 16 ème siècle, malgré quelques variantes (il est soit un sauvage à civiliser, un enfant, soit un barbare brutal envahi par la sauvagerie et la bestialité).

Cet état d’esprit dans lequel se trouvent les métropolitains à leur arrivée, influence la rencontre avec l’Autre. Dans tout ce qu’il va pouvoir dire ou faire le martiniquais, le métropolitains y voit une intention malveillante.

 

En ce qui concerne les stéréotypes qu’ont les martiniquais sur les métropolitains, nous ne possédons que peu d’éléments. Le plus répandu chez les martiniquais : les métropolitains gagnent de l’argent en venant en Martinique. Il est fait, par eux, un amalgame entre la couleur de la peau blanche et les 40% attribués aux fonctionnaires pour cause de vie chère.

Il y a aussi l’idée que les métropolitains arrivent en pays conquis parce que la Martinique est un département français, en conséquence, ils se croient tout permis. Egalement tout comme pour les métropolitains qui sont allés en Martinique, il existe des témoignages de martiniquais revenus de France avec des histoires dramatiques à raconter. Par exemple la mésaventure du frère ou du cousin d’un ami qui s’est fait « tabassé » par des métropolitains dans la rue. Là encore la raison invoquée est le racisme des métropolitains à l’encontre des martiniquais (des noirs).

Le quatrième stéréotype, le plus courant, est que ces nouveaux arrivants ne sont pas désireux de découvrir la culture martiniquaise les lieux touristiques suffisent à leur bonheur. Leur principale raison de séjourner sur l’île, est de gagner de l’argent, et non de rencontrer les martiniquais. (CF annexe 6.f).

Les martiniquais et les métropolitains possèdent un stéréotype en commun : quelle représentation, quelle image a l’Autre de moi ? En fait, ils imaginent et perçoivent ce que les Autres pensent d’eux. Par exemple, les métropolitains pensent que les martiniquais ne les aiment pas parce qu’ils ont réussi, et qu’ils sont perçus comme des envahisseurs. Les martiniquais, eux, imaginent que les métropolitains ne les estiment pas, parce que les métropolitains ne font pas d’effort pour les rencontrer puisqu’ils restent qu’entre eux, ils ne les côtoient pas.

Chacun, métropolitain ou martiniquais présuppose ne pas être apprécié par l’Autre. Pour justifier cette attitude, l’Autre est désigné comme raciste. Le racisme a été une réalité exprimée historiquement, par les uns et par les autres. Cependant aujourd’hui le racisme au vrai sens du terme, n’est le fait que de quelques irréductibles. Par « vrai sens du terme » nous entendons le racisme au sens strict, c’est-à-dire comme le définie Leiris :

« Prenant la forme d’une doctrine plus ou moins cohérente affirmant la supériorité congénitale d’un groupe et prescrivant de façon concentrée une politique adéquate à cette idée de supériorité »Leiris, Michel, 1955, Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, p 126..

Cependant, à présent que les mots racisme ou raciste, employés à tout bout de champ, ne sont que l’expression de frustrations ou des vexations ressenties par les uns et les autres.

Nous pouvons, faire ici une parenthèse sur l’héritage inconscient de la supériorité des blancs, que tous les métropolitains porte en eux. Ce ressenti est un élément de la définition du racisme. Celui-ci ne s’exprime que rarement par des actes, et peut apparaître dans les propos des métropolitains lorsque ceux-ci ne comprennent pas les us et les coutumes locaux. L’observation des deux populations, nous permet de dire qu’il n’y a pas réellement de racisme exprimé en Martinique, ni de la part des métropolitains, ni de la part des martiniquais.

Il ressort donc de ces stéréotypes, de manière générale, une méfiance vis-à-vis de l’Autre. Même si parfois c’est le contraire, (surtout de la part des métropolitains), il y a une trop grande aisance qui se manifeste, par exemple, par l’emploi excessif du tutoiement en arrivant. Ceci, est considéré comme un manque de respect par les martiniquais, et donc forcement peu toléré.

Nous constatons que ces stéréotypes sont inconsciemment inscrits en chacun et influencent les réactions et les attitudes des martiniquais autant que des métropolitains lors de leur rencontre.

 

Nous avons abordé au cours de ce chapitre les différences qui séparent les métropolitains et les martiniquais. Celles-ci induisent et parasitent la qualité de l’échange qu’ils vont tenter d’amorcer. Les rencontres entre eux, ne s’établissent pas spontanément à cause de nombreuses incompréhensions de part et d’autre. Ce chapitre contribue donc à nous montrer encore un peu plus qu’elles sont les différences auxquelles vont devoir faire face les métropolitains à leur arrivée.

En prenant en compte ces éléments, nous essayons maintenant de décrire qu’elles sont les attitudes que vont adopter les métropolitains pour pallier à ces différences.