Chapitre trois : Première approche de l’île par les métropolitains

 

 

 


Après avoir présenté les métropolitains et expliqué les raisons pour lesquelles ils viennent en Martinique nous allons étudier comment se déroule leur première approche avec l’île. En apparence les structures ne changent pas trop de celles de la France. Cependant plusieurs particularités de l’île vont amener ces nouveaux arrivant à s’acclimater à quelques éléments dont ils ne soupçonnent pas la difficulté avant leur arrivée.

Dans ce chapitre, nous essayerons de voir comment les métropolitains se familiarisent avec ce nouvel environnement, les problèmes qu’ils rencontrent, et qu’est ce qui peut leur permettre de les résoudre avec plus ou moins d’aisance.

 

1. Les structures de la métropole, et le premier dépaysement

 

En arrivant en Martinique, département français d’outre-mer, le métropolitain pense retrouver tout ce qui caractérise le fonctionnement de la société française. Son attente va être comblée mais l’application qui en est faite sur l’île, diffère de celle de la métropole. Il arrive aussi, avec une représentation en tête de la Martinique qui ne va pas toujours correspondre à la réalité locale.

 

1.1. Les éléments similaires à l’hexagone

A leur arrivée et même avant leur départ, les métropolitains sont rassurés par le fait qu’ils savent qu’en Martinique ils vont retrouver toutes les institutions dont ils dépendent en France. Effectivement sont présents tous les services de l’Etat : PTT, EDF-GDF, éducation, justice, hôpitaux, les administrations : mairies, préfectures, conseils générale et régionale, la DDE, etc…, les services du secteur tertiaire, les réseaux téléphoniques, les banques, les commerces…etc. Ces institutions sont connues et chacun sait en faire usage, au moment opportun. Cet environnement connu donne aux métropolitains le sentiment de se sentir chez eux, sans d’effort particulier de compréhension d’un nouveau système puisque eux-mêmes, en étaient déjà les bénéficiaires en France. Ils l’expriment ainsi : « ici, on est en France », « la Martinique fait partie de la France » ou « la Martinique est française ». Nous pouvons remarquer que ces différentes formules employées illustrent l’image qu’ils ont de la Martinique. Elles peuvent être un indicateur du comportement que ces personnes ont sur l’île, et envers la population locale. Prenons la dernière expression « la Martinique est française » elle souligne la possession : la Martinique appartient à la France. Elle laisse imaginer une attitude néo-colonialiste de la part de la personne qui l’utilise.

Ainsi le métropolitain conçoit logiquement que la Martinique ait toutes les institutions existantes dans tout autre département français. Ce qui amplifie, son sentiment de sécurité, c’est de retrouver les mêmes panneaux de signalisation au bord des routes, à proximité des villages et ainsi pouvoir s’orienter avec facilité dans l’île. Dans les villages, villes les emplacements des mairies et des églises sont situés, comme en France, sur une place au centre de l’agglomération  Sur l’île, la langue officielle est le français, donc aucun problème de communication, avec l’Autre.

Tout semble, donc fait pour qu’un individu arrivant de métropole puisse se déplacer et s'établir sur l’île comme s’il était n’importe où en France. Tous ces éléments sont d’autant de points de repères qui facilitent l’installation sur l’île des métropolitains. Tout ceci semble normal à tous ces métropolitains, à partir du moment, où la Martinique est depuis 1946, un département français.

Ce constat peut être fait par un simple passager venu de la métropole pour un court séjour sur l’île, tout comme par les métropolitains durant les premiers mois de leur installation. Cependant rapidement, toutes les personnes qui résident sur l’île, attestent que l’apparence est trompeuse, en effet, la réalité est bien autre. Si l’ensemble des structures s’adosse sur le modèle français, le mode de mise en application est particulier à la Martinique.

La première différence que relèvent les métropolitains est évidemment le rapport au temps. Les administrations semblent travailler lentement, et la patience leur est nécessaire pour obtenir ce qu’ils veulent.

Afin d’accélérer la procédure d’obtention de tout document ou réponse à une question, il est nécessaire de suivre, de connaître et de respecter les codes et les règles de comportements en vigueur sur l’île (nous traiterons ce thème dans le chapitre suivant). Les nouveaux arrivants s’aperçoivent que la présence des structures françaises en Martinique apparemment rassurantes et familières, ne les dispense pas d’apprendre leur fonctionnement singulier sur l’île.

 

1.2. La vision de l’île par les métropolitains

La première image de la Martinique évoquée par les métropolitains, est une île idyllique. Ils se la représentent, dans leur imaginaire comme un lieu paradisiaque :des plages de sable fin et blanc, bordées de cocotiers où sont installés des hamacs, une vue sur une mer calme dont l’eau est presque transparente, sous un ciel d’azur…

Ces images sont véhiculées par les agences de voyages (CF annexe 5). Afin de séduire les clients, elles proposent quelques photos types de l’île qui mettent en exergue les immenses plages de sable fin, les cocotiers, la mer translucide et, le soleil renforçant ainsi la représentation interne portée par le client. Mais se sont aussi les touristes, qui partent pour des séjours de dix à quinze jours, renforcent cette vision paradisiaque de l’île, par les éloges, faites sur l’île à leur retour. Comme nous l’avons déjà évoqué, ils gardent un souvenir sélectif du séjour, oubliant les difficultés relationnelles rencontrées, parfois, avec la population locale.

C’est donc une vision proche du mythe que les métropolitains ont de la Martinique à leur arrivée.

En effet, de la vie qu’ils imaginent pouvoir avoir sur une île, se dégage un mythe, entretenu par les représentations visuelles des agences de voyages. Mais c’est parce que justement ces lieux paradisiaques n’existent pas dans un environnement proche des personnes que celles-ci y adhèrent. Ce lieu idyllique, éloigné de leur quotidien et, par des milliers de kilomètres, fait rêver ces personnes n’ayant de la Martinique et des îles, uniquement qu’une représentation imaginaire. Avec cela, les conditions climatiques : du soleil toute l’année leur suggèrent l’idée que l’on peut y vivre avec presque rien. Certains pensent qu’il serait possible d’y vivre sans avoir de logement, avec un minimum de frais vestimentaires puisqu’il y fait chaud toute l’année, de profiter des facilités agraires, liée à l’abondance de la végétation pour y cultiver son jardin et des produits de sa pêche, pour se mourir à moindre frais. Nous voyons ici que l’utopie de l’autosubsistance, peut aussi faire partie de ce mythe.

C’est avec ces représentations mythifiées, que les métropolitains en arrivant, et se rendent compte des réalités de la vie sur l’île.

Un bon nombre de ces personnes découvrent pour la première fois la Martinique. Loin des lieux aménagés pour les touristes, ils sont surpris, voire même déçus de ne pas retrouver ce qu’ils avaient à l’esprit en arrivant. Ce n’est pas la beauté des paysages, ou la qualité des plages qui remettent en question, mais principalement les aménagements faits. Le manque d’harmonie entre les constructions et le paysage, ne met pas la beauté de celui-ci en valeur. Certains vont même jusqu’à dire que dans certaines villes, la Martinique s’apparente à la côte d’Azur. Ils font référence, avec cette comparaison, aux constructions de logements saisonniers excessives, bâties sur cette côte dans les années 70, au début du développement du tourisme.

Les villes également déçoivent les espérances de ces nouveaux arrivants. Beaucoup trouvent que certains quartiers, et notamment ceux de Fort-de-France, ressemblent plus à des bidons villes et donc au tiers monde qu’aux villes de pays occidentaux, dont fait partie la France. Le manque de restauration de certains immeubles comme l’état de délabrement de certains quartiers, choquent les personnes qui ne comprennent pas que l’on puisse trouver des agglomérations dans de tel état. Une métropolitaine nous confie son étonnement en découvrant la capitale de l’île :

« Je ne m’attendais pas à ça, j’avais une vision un peu plus idéaliste, peut être un peu plus dépliant touristique. Donc, quand je suis arrivée, il y a eut un petit décalage avec la réalité, parce que je ne sais pas… vous avez vu Fort-de-France ? Pour moi c’est une ville du tiers monde, et il y a beaucoup d’aspects de la Martinique qui la rapproche d’un pays du tiers monde. Enfin honnêtement moi, je vois ça comme ça, c’est pas tout à fait pareil mais on s’en rapproche. Donc le décalage à était un peu difficile quoi… Fort-de-France ce n’est pas une jolie petite ville, ce n’est pas une ville commerçante, tel qu’on pourrait espérer trouver dans un département qui est relativement peuplé. Donc ça, c’est le côté, un petit peu décevant, par rapport à la vie social, tout ce qu’on peut attendre d’une grande ville, ici on ne le retrouve pas, il me semble… Moi ça me dit rien d’aller traîner dans le centre ville de Fort-de-France, y’a rien d’engageant. »

Lors de notre séjour sur l’île le quotidien local : le « France-Antilles », publie hebdomadairement les « vues du ciel » d’une ville locale. C'est-à-dire qu’étaient prise en photo par hélicoptère, toutes les semaines, une commune de l’île. A ce sujet un homme que nous avons interrogé nous dit :

« Vous avez vu ce que le France-Antilles fait en ce moment, les photos des villes par hélicoptère ? Oh la la, mais ils auraient jamais du faire ça…Vous avez vu le nombre de bidons villes qu’il y a ? Y’a de quoi faire fuir tous ceux qui viennent d’arriver ! Cette semaine c’est le Vauclin, c’est moche…, heureusement qu’on distingue quelques quartiers avec de belles maisons. Quartiers où vivent, comme par hasard, que des métropolitains. Ce n’est pas fait exprès, mais c’est parce quede toute façon si c’est eux qui ont les plus belles maisons, c’est parce que c’est eux qui savent faire construire avec goût… les martiniquais, eux ils s’en foutent… »

Ce second témoignage, atteste le ressenti de certains métropolitains : «…l’état actuel des villes est dû au manque d’intérêt qu’ont les martiniquais a les entretenir, ou les embellir … » L’avis de cette personne n’engage qu’elle. Le manque de goût des martiniquais auquel elle fait référence, est plus une divergence d’esthétisme qu’une réelle lacune chez ces derniers. Ce reproche fait à l’attitude des martiniquais « eux ils s’en foutent », se retrouvent également dans la façon dont ils gèrent le milieu naturel de l’île.

Car si l’aménagement de l’île est contesté, la beauté du cadre n’est pas remise en cause. C’est le comportement des autochtones vis-à-vis de ce milieu qui est déploré. Les métropolitains trouvent regrettable la façon dont la population locale néglige l’environnement, en ne respectant pas de la propreté des lieux, notamment lorsqu’ils jettent leurs ordures n’importe où.

Le constat immédiat qui se dégage entre ces deux populations, c’est une vision différente du milieu environnent. En effet pour l’individu qui arrive de métropole, ce milieu est exotique. Cependant Segalen nous avertit (cité par F. Affergan)Affergan, Francis, 1983, Anthropologie à la Martinique, p40. : « Pour qu’il y est exotisme, il faut que l’objet regardé ou senti, par de multiples médiations, renvoie l’écho de notre propre présence. Ainsi ne pas être trop au monde mais légèrement en décalage. ». On comprend qu’il y a deux manières de vivre l’exotisme : pour l’autochtone et pour l’observateur. Segalen nous dit alors que pour ce second le seul fait d’être extérieur lui fait ressentir l’exotisme : « Je conçois autre, et sitôt, le spectacle est savoureux. Tout exotisme est là. ». Autrement dit il est difficile pour les martiniquais de s’émerveiller devant ce lieu dans lequel ils ont toujours vécu, contrairement aux métropolitains qui, le découvre. L’antillais se considère comme un élément faisant partie de la nature elle-même, et se trouve dans l’impossibilité de l’objectiver. Il ne contemplera donc pas son pays, car pour le contempler, Segalen nous dit, il faut s’en détacher. C’est pourquoi, il ne comprend pas l’attitude du métropolitain en quête d’exotisme, qui à peine arrivé, s’enfonce dans les moindres recoins de l’île, où, lui-même, autochtone, ne s’est pas forcement aventuré. Les métropolitains, à leur niveau, ne comprennent pas que les martiniquais ne connaissent parfaitement leur île, et n’en prennent pas soin, négligeant l’entretien de son environnement pour la préserver.

 

 

2. Les premières adaptations à l’île

 

Nous allons voir à présent quels sont les éléments faisant partie intégrante de l’île et de son fonctionnement et s’imposant aux métropolitains à leur arrivée. Les capacités d'acclimatation de ces derniers, sont la première phase du processus d’adaptation. En effet c’est par la confrontation avec ces éléments : le temps, le rythme de vie, les conditions climatiques, ainsi que l’insularité, que les personnes venues de l’hexagone vont parvenir avec plus ou moins de difficultés à s’accoutumer à la vie de l’île.

 

2.1. Le temps

Le temps en Martinique ne s’écoule pas de la même manière qu’en métropole. Il ne signifie pas non plus la même chose. Pour s’y habituer il faut comprendre ce qu’il représente. Nous allons étudier deux caractéristiques de ce terme, qui ont été le plus abordées lors de nos entretiens. Il s’agit du temps qui signifie la durée, les horaires, puis nous nous attarderons sur le temps qui désigne un moment et notamment celui de la fête. Nous allons ainsi, étudier ces temps tel que l’entendent les métropolitains et à travers les significations qu’ils ont pour les martiniquais.

La première expérience du temps faite par les métropolitains en Martinique, passe par un nombre considérable d’heures d’attente, dans les administrations afin d’accomplir les démarches nécessaires à leur installation. Ils découvrent ensuite, que quelque soit les activités qu’ils entreprennent, ils attendent. C’est un nouveau rapport au temps. Ils attendent : chez les médecins, dans leurs déplacements à cause des embouteillages, dans les fils d’attente des magasins, et même lorsqu’ils ont des rendez-vous, en particulier avec des locaux.

Le métropolitain en arrivant sur l’île a l’impression de perdre son temps dans des futilités. Ce nouveau rapport au temps dont il n’est pas coutumier, car habitué en métropole à rationaliser son emploi du temps, le perturbe. Il transparaît de ce ressenti, un réel agacement qui se traduit sous une forme d’agressivité à l’encontre des martiniquais. Face à l’inconcevabilité de pouvoir vivre comme ça, la notion du temps toute entière est attribuée à l’illogisme du fonctionnement martiniquais. La notion de temps, régie, pour les martiniquais et pour les métropolitains, par des codes et des règles, différents contribue à créer un phénomène de différenciation et une barrière entre ces deux mondes. C’est ce que nous pouvons relever dans les propos de cette jeune femme :

« On a l’impression que les gens, ici, ont tout leur temps et que s’ils perdent une journée dans le cabinet de médecin, ben c’est pas grave. Ça énerve un peu mais s’il faut attendre deux ou trois heures ce n’est pas gênant, et ça c’est un peu énervant de tout le temps devoir attendre…on a autre chose à faire… Donc il y a cet aspect là peut être, il y a l’administration quoi que là ils font des efforts… c’est le manque en général de tout se qui est fonctionnement tout se qui est administratif, tout se qui est emmerdant en terme général c’est très long, c’est très pénible, alors je sais pas si c’est culturel ou si c’est un manque de moyen, mais bon les gens, ici, ont l’air de l’accepter relativement bien. »

Nous voyons ici, que les métropolitains pensent que l’attente vécue par eux comme quelque chose de subi, fait partie, en fait, d’une attitude consciente des martiniquais. Ils considèrent que ces derniers pourraient, s’ils le voulaient, agir autrement. Il est sous entendu : « c’est volontairement que les martiniquais perdent du temps, puisque ne travaillant pas ils n’ont rien d’autre à faire ».

Ce que nous observons ici, est un phénomène d’interprétation des comportements de l’Autre face à une incompréhension directe de ses actions, et qui est semble-t-il une attitude de défense. C’est parce que l’on ne comprend pas pourquoi l’Autre agit de cette manière, que l’on va interpréter ces attitudes, même si ces interprétations n’ont pas de fondements, afin de pouvoir se rassurer en se persuadant que l’explication que l’on donne est la raison de leurs agissements.

Le rapport au temps qu’ont les martiniquais, peut trouver d’autres explications. F. Affergan, nous suggère une analyse afin d’appréhender ce rapport au temps. Cet auteur, date l’origine de ce rapport singulier au temps, à la colonisation et à une de ces conséquences qui est selon lui : « la perversion du colonialisme qu’est l’assimilation »Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 164.. La France tente d’imposer une conception d’un vécu très spécifiquement temporalisé. Cette conception de la temporalité est « celle d’une continuité et d’une sérialisation, avec ses rythme et ses cadences propres. Le tout devant produire un rapport au monde fait de causalité et de déterminisme.». Face à cette temporalité méthodique, Affergan nous dit que la double origine africaine et servile présente un vécu et un imaginaire du temps tout à fait différents. Par conséquent nous pouvons observer deux phénomènes :

  • Premièrement : attendre pour les martiniquais c’est arrêter le déroulement imprévisible du temps, ou du moins tenter de l’éterniser. L’attente consiste : à s’attendre à ce que les moments soient remplissables de sens. En conséquence ils prennent effectivement sens, même s’ils sont vides puisqu’ils se remplissent toujours de possible des événements que l’on attend. Autrement dit l’attente et la patience, sont des attitudes très courantes à la Martinique. Le martiniquais n’est pas en position de décider, d’agir, il dépend de structures, de systèmes extérieurs qui vont déterminer son attitude. Il est en position d’assimilé.
  • Deuxièmement, un comportement que nous avons observé : la non projection dans le temps, qu’il soit à court ou à long terme. Affergan nous en donne l’explication suivante : en Martinique le temps est vécu et perçu comme « découpé en tranches tombant en morceaux. Et seul le morceau est investi. ». Cela signifie que seul le présent est pleinement vécu. Contrairement à la vision que l’Europe a, ici, le temps est préféré « sous forme d’un flux, d’un vécu extrêmement lâche où peuvent venir s’intercaler toutes sortes de moments possibles, imprévus et imprévisibles ». Le temps antillais est, par conséquent, celui de l’imprévision et de l’imprécision, proche, donc, de l’état de nature.

Le métropolitain interprète, cette conception du temps comme une attitude de « grand enfant ». Ce mode de vie des martiniquais vivant « au jour le jour »Expressions qui nous ont été donnés par des métropolitains lors de nos entretiens., est considéré par les métropolitains comme une incapacité à être responsable et adultes.

Autre temps : celui accordé à la fête. Il s’agit des fêtes qui se déroulent au niveau de l’île. La fréquence de ces événements semble excessive aux métropolitains. Elle renforce l’idée véhiculée par ces derniers que le martiniquais est un grand enfant.

Pour comprendre ce temps consacré à la fête, il est nécessaire d’appréhender la complexité de la société martiniquaise. Nous n’avons pas l’intention d’analyser ce système, des auteurs y ont consacrés d’importants ouvrages. Nous voulons mettre en exergue quelques éléments qui permettront une meilleure compréhension du mode de vie des martiniquais.

Nous avons noté, durant notre séjour à la Martinique, le nombre de paradoxes sur lesquels s’est construite la société martiniquaise. Par exemple nous avons observé quelques éléments de la vie quotidienne : le manque de communication, qui caractérise les rapports entre les individus de cette société, en particulier, ce qui est vécu par un individu et ce qu’il va laisser apparaître aux autres. Ainsi, nous avons remarqués que la plupart des martiniquais sont entourés d’un groupe d’amis dont ils sont inséparables, alors qu’ils disent ne pouvoir compter sur le soutien d’aucun d’entre eux. De même bien souvent ils laissent la porte d’entrée de leur maison grande ouverte pour accueillir tout ceux qui veulent venir rendre une visite, mais aussi parce qu’ils ne craignent rien dans leur quartier, alors qu’ils prennent soin de minutieusement fermée à clés la porte de leur chambre à coucher.

Ceci pour dire que ce fonctionnement paradoxal au quotidien sans explication, installe chez les individus de profondes angoisses. Le réinvestissement du calendrier religieux, associé à des cérémonies traditionnelles qui peuvent se dérouler sur plusieurs jours, est un moyen d’évacuer les frustrations et les interdictions accumulées. Ces temps de fêtes répétés tout au long de l’année sont, par conséquent, un « défouloir », où est dépassée temporairement l’aliénation que provoquent les paradoxes de cette société.

 

Nous constatons que, la compréhension de la notion du temps par le métropolitains, dépend de la manière dont est ressentie la confrontation de sa réalité avec celle qu’il découvre sur place. En d’autres termes, c’est au travers de son regard d’européen, qu’il ne peut nier, que le métropolitain interprète les comportements qu’ont les martiniquais. Si ces comportements sont jugés, par ce regard ethnocentrique, comme positifs, alors le métropolitain pourra adhérer avec facilité à ces nouveaux concepts. En revanche s’ils sont appréhendés négativement l’adhésion ne pourra se faire que de manière plus réticente.

En ce qui concerne la notion de temps, nous avons bien vu qu’elle était perçue, comme une contrainte, et en conséquence négativement. Les métropolitains ne pouvant changer cette situation ils s’y accommodent, c'est-à-dire qu’ils s’y résignent plus qu’ils n’y adhérent. L’adaptation dans ce cas est un renoncement à un mieux, sous-entendu, la métropole.

 

2.2. Les rythmes

Le rythme ou les rythmes caractérisent la vie sur l’île et déroutent tout nouvel arrivant. Nous pouvons relever deux rythmes en particulier auxquels sont confrontés rapidement les individus de l’hexagone :

  • le rythme de vie
  • le rythme lié au travail.

Afin de définir le rythme de vie, nous allons prendre comme exemple le déroulement d’une journée en Martinique et en métropole. Tout d’abord, nous constatons que les journées ne se découpent pas de la même manière, et peuvent désorienter le nouvel arrivant.

En toute saison, le soleil se lève plus tôt en Martinique, qu’en métropole. En conséquence, la journée, et les activités commencent et finissent plus tôt en Martinique qu’en métropole . Les séquences journalières ne sont pas investies de la même manière. En métropole, le matin et l’après-midi s’équilibrent en durée et masse de travail. En Martinique, le matin est beaucoup plus chargé que l’après-midi. Une journée qui démarre entre 8h30/9h, en métropole, débute en Martinique entre 6h30/7h pour finir variablement entre 15h et 17h au lieu d’entre 17h et 19h dans l’hexagone. Dans les deux situations le temps de travail est identique. Cependant la grande différence est l’invariabilité de l’heure du couché du soleil (entre 18h et 18h45) qu’il existe en Martinique.

Un temps d’adaptation est nécessaire aux métropolitains. L’adaptation doit s’entendre aussi, ici, sous son aspect biologique, en effet, l’organisme doit s’accoutumer à ce nouveau rythme. En règle générale, cette adaptation biologique s’effectue sans difficulté. Mais c’est au niveau psychologique que peuvent apparaître des résistances au changement.

En effet, prendre en compte une nouvelle planification de sa journée ne représente pas une difficulté majeure. Par exemple, il est indispensable d’effectuer ses démarches administratives le matin, plutôt que l’après-midi (les bureaux ferment tôt). Mais certaines personnes s’y habituent plus vite que d’autre :

«  On l’impression qu’on est tout le tps en train de courir, qu’on a moins le tps, la journée commence tôt, et elle finie tôt, du coup on a moins le tps pour faire les choses. L’espace est réduit mais avec les embouteillages, et tout ça la moindre démarche prend une matinée ou une après-midi, ouais on manque de tps… on a commencé surtout en arrivant par stresser, on courrait partout. »

La difficulté réside dans la faculté à occuper toutes les parties de la journée. La journée de travail s’achevant entre 15 et 17h et le soleil se couchant vers 18h, l’espace de détente est donc plus conséquent qu’en métropole. Comment l’utiliser, et surtout comment occuper le temps entre la tombée de la nuit et l’heure du repas ? Telle est la question qui se pose aux métropolitains. Les activités nocturnes n’étant pas aussi nombreuses qu’en métropole :

« Ici c’est zouk [soirée dansante où est diffusée principalement cette musique], à la limite cinéma mais avec des programmations très orientées c’est-à-dire films d’actions ou des mauvaises comédies avec toujours au minimum un acteur black, genre Woopie Goldberg, ou Eddie Murphy, ou alors c’est théâtre mais en créole, alors…, mais sinon y’a pas de bars on peut pas aller boire un coup comme en métropole… ».

Ou parfois, tout simplement trop loin de lieu de résidence (tout est concentré sur Fort-de-France).Effectivement il n’existe pas de lieu public où les personnes peuvent se retrouver ou se rencontrer. Il n’y a pas de terrasses de cafés où il est possible de passer un moment. Les martiniquais ont organisé une sociabilité d’apéro pour passer ce moment entre 18h et 20h ensemble. Cependant c’est une sociabilité privée, et la plupart des métropolitains n’y ont pas accès. En Martinique la nuit n’est pas un instant privilégié de la fête et des rencontres que les continentaux connaissent, notamment dans le sud de la métropole. Certaines personnes ne savent pas, alors, comment occuper leur soirée si ce n’est en se résignant à manger plus tôt et par conséquent à se coucher aussi plus tôt. Or, la moyenne d’âge des métropolitains est relativement jeune, cette solution n’est pas acceptable pour tous. Certains ont l’impression d’adopter un mode de vie qui ne correspond pas au leur :

« le soir, y’a personne dans les rues, c’est un peu angoissant, surtout quand on sait qu’en France c’est l’été et que c’est la fête partout, alors des fois c’est un peu difficile… ».

Ce moment de la journée peut être envisagé comme une épreuve. Nous constatons que certaines personnes à cause de ce temps long et inoccupé, dépriment et envisagent de repartir vers la métropole. Ce problème qui est plus d’ordre psychologique que physique, peut être vécue autant par des personnes venues seules, que par celles venues en couple.

 

Le rythme de travail se caractérise par une certaine lenteur. Ce nouveau rythme peut convenir à certains : « j’ai l’impression d’être en vacances toute l’année, c’est géniale », à contrario, il peut en exaspérer d’autres. Ces derniers ont, alors l’impression d’être inefficace, ou d’effectuer tout le travail. Pour ces personnes la lenteur de l’exécution des tâches est considérée comme un travail médiocre et peu efficace. Face à ce problème ces personnes adoptent deux types de comportements : soit ils décident de tout changer, et ils se heurtent à la résistance des locaux, soit ils se résignent, et tentent de vivre avec ces conceptions qui ne sont pas les leurs.

Ces rythmes de vie et de travail démontrent aux métropolitains que la vie sur l’île est vraiment différente de celle qu’ils connaissent en métropole. Si ces modifications de rythmes sont vécues avec autant d’acuité c’est parce que les métropolitains croient évoluer dans un département français. Leur désir d’installation en Martinique avait comme principal support, l’exotisme et la qualité du cadre de vie, négligeant tous les particularismes de la vie martiniquaise.

 

2.3. Les conditions climatiques

Chaleur et soleil en toute saison caractérisent le climat de l’île. Ces conditions climatiques sont très attractives pour les métropolitains. Une fois sur place, cette vision est soutenue durant quelques mois encore.

Mais très vite certaines personnes s’aperçoivent qu’elles souffrent de la chaleur, et qu’en conséquence, elles ne peuvent pas accomplir tout ce qu’elles faisaient en métropole. Au niveau du travail elles font le constat que la chaleur les fatigue rapidement et qu’ainsi elles ne sont pas aussi performantes qu’elles avaient pu l’être dans d’autres circonstances.

Les conditions climatiques les obligent à adopter un nouveau mode de vie et un nouveau rythme. Les journées s’organisent de façon à éviter un maximum les moments les plus chauds. Il est nécessaire d’organiser une seule sortie pour accomplir toutes les activités qu’il étaient prévues de faire afin de réduire autant que possible les expositions à la chaleur. D’autres deviennent experts en météorologie essayant d’analyser la direction de la brise afin de déterminer l’arrivée de la pluie. Certains découvrent que l’exposition de leur corps au soleil est néfaste à leur peau.

 

Si lors de nos entretiens la plupart des métropolitains avancent l’idée que le climat de l’île est un privilège dont ils sont contents de pouvoir profiter, il transparaît parfois le sentiment que face à l’invariabilité de la température, les changements de saisons de la métropole sont vécus comme un manque.

Néanmoins le côté positif du climat de l’île, permet aux métropolitains de s’adapter à celui-ci relativement facilement. Même si, parfois, certains rencontrent quelques problèmes d’ordre biologique : en particulier, les personnes à la peau très blanche.

2.4. L’insularité

L’insularité, se caractérise par un espace territorial réduit, ce rétrécissement par rapport à un continent est un autre élément que le métropolitain, doit prendre en compte. F. Affergan souligne que la Martinique est une île qui n’échappe pas à l’empreinte « psycho-sociale » de toute île : l’enfermement. L’encerclement de l’île par la mer est ressenti autant par les métropolitains que par la population locale. Tout le monde réagit à l’étouffement des rapports humains qui en découlent, par un comportement d’évitement, ainsi que par des attitudes « sado-masochistes » dans la mesure où l’Autre ne peut pas s’échapper même s’il devient indésirable. Affergan énonce que « la contrainte de vivre ensemble crée paradoxalement des gestes de fuite et de repli, signes de vie non communautaire »Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, p 15..

Cela s’applique dans le cadre des rapports entre martiniquais et métropolitains ; leurs différences les amènent plus à se fuir qu’à se regrouper. En revanche, cette règle ne s’applique pas pour les métropolitains qui vivent entre eux. Le fait de se regrouper entre eux et de parler de la métropole leur permet de s’évader. Le sentiment d’être étrangers à cette insularité, et d’être expatriés, les réunit. Certains vont même jusqu’à se regrouper par régions d’origine, ou par quart de l’hexagone (parce qu’une seule région réduit trop le nombre d’adhérents) afin d’échapper à cet étouffement insulaire. Cependant, les métropolitains ne ressentent pas immédiatement l’étroitesse de l’espace. Quelques mois, voire quelques années peuvent s’écouler avant qu’ils ne prennent conscience de ce fait. Cette période est le temps de la découverte de l’île, dans ces moindres recoins. Lorsque l’île n’a plus de secret pour eux ce sentiment les envahit.

Mais également ce qui trompe la personne qui découvre l’île, c’est la différence entre le temps et l’espace. La Martinique, d’une superficie de 1100 Km2, se parcourt et se découvre lentement. Ile montagneuse, dont la plupart des routes longent les côtes, nécessite de longues heures de déplacement pour parcourir quelques dizaines de kilomètres. Par exemple il n’est pas rare de mettre une demi-journée pour traverser le pays du nord au sud, soit 100 Km. Ce décalage entre distance et temps donne l’étrange impression d’un espace plus grand que ce qu’il est en réalité.

Enfin, le métropolitain voyage relativement souvent ce qui réduit son sentiment d’être enfermé. En effet, il effectue régulièrement des voyages à l’extérieur de l’île. Que se soit pour retourner en métropole ou pour visiter les îles ou les continents à côté, il part généralement une fois tous les ans, ou tous les deux ans à l’extérieur de l’île, pour des durées variables entre un et deux mois.

En conséquence le métropolitain ne ressent réellement l’insularité qu’après être resté plusieurs années sur l’île. Cet enfermement peut se ressentir plus rapidement pour certains, non pas à cause du manque d’espace, mais plutôt par l’atmosphère qui règne sur l’île. Il y a au sein de l’île une lourdeur, une pesanteur, qui fait ressentir à chacun un sentiment d’étouffement. Il existe, aussi une tension dans le regard et dans les gestes de la population, qui fait percevoir aux métropolitains le poids de l’étroitesse du lieu. Celle-ci n’a d’ailleurs d’autre moyen de fuir cet enfermement qu’en parcourant l’île en voiture pendant des heures sans but, c’est ce qui s’appelle en créole « driver ». C’est également par la rapidité avec laquelle les informations sur une personne circulent à travers l’île, que ces derniers s’aperçoivent que la Martinique n’est qu’un grand village.

C’est au travers de leurs rapports avec la population locale plus que par l’effective petitesse de l’île que les métropolitains ressentent l’insularité. En se regroupant les métropolitains tentent d’échapper à cet étouffement ou du moins de l’atténuer.

 

Nous avons vu au travers de cette partie que les métropolitains rencontrent des difficultés d’adaptation au mode de vie de l’île. Impression constante de perdre son temps, changement de rythme de vie et de travail, fatigué par le climat, énervé par l’isolement insulaire et par l’ambiance de petite ville où l’on s’épie, tel est ce que ressent le métropolitain.

Ces éléments réunis amènent certains métropolitains à projeter sur la population locale une animosité. Face à l’incompréhension du modèle culturel, les métropolitains ont deux types de réactions : soit ils se résignent, soit ils attribuent aux différences culturelles entre eux et les martiniquais, les incohérences qu’ils perçoivent.

Nous allons voir à présent, que certaines situations permettent parfois de faciliter cette première adaptation à la vie de l’île.

 

3. Les éléments qui peuvent faciliter l’adaptation à la vie sur l’île

 

Nous allons voir quelles démarches peuvent entreprendre les métropolitains avant leur arrivée sur l’île, ou au cours de leur installation  afin d’atténuer voire supprimer les difficultés que nous avons énoncées ci dessus.

 

3.1. La connaissance de l’île avant l’arrivée

Les métropolitains n’arrivent pas tous avec les mêmes connaissances de l’île. Certains la découvrent totalement, d’autres ont eut au préalable une démarche de recherches avant de prendre la décision de partir y vivre. Ces recherches peuvent être historiques, géographiques ou culturelles. Nous notons, que sur les vingt six personnes interrogées, plus de la moitié ne savaient pas situer géographiquement la Martinique avant de venir s’y installer. Cela peut démontrer que c’est le désir de partir qui motive les individus plus que la destination en elle-même. Ce constat laisse à penser que ces métropolitains ne s’intéressent pas à la culture martiniquaise, et qu’ils s’imaginent retrouver en Martinique département français, les mêmes règles de fonctionnement qu’en France. D’où le décalage entre l’image qu’ils s’étaient faites du lieu et la réalité qu’ils découvrent.

A l’inverse ceux qui entreprennent un travail de documentation sur les conditions économiques, politiques, historiques et culturelles de l’île, seront plus à même d’appréhender leurs nouvelles conditions de vie sur l’île. Sensibilisés aux particularismes, ils seront amenés à être plus tolérants. Il est cependant nécessaire de ne pas s’installer dans une position de culpabilité face à l’histoire et ainsi d’accepter ou tolérer, tout et n’importe quoi de l’Autre au nom de la servitude qu’il a subi.

Ce que peut permettre alors, l’apprentissage de certains savoirs concernant l’île et les personnes qui y vivent, est un amoindrissement du décalage entre ce que le métropolitain se représente de la Martinique et la réalité qu’il rencontre une fois installé. Ainsi il peut se mettre en place une adaptation aux éléments que nous avons étudiés dans la partie précédente, non plus de façon réactive, mais davantage tournée vers la recherche d’explications pour accéder à une esquisse de compréhension de l’Autre et de ces comportements.

Cette démarche est rarement réalisée avant le départ de la métropole. Nous nous sommes aperçus que certains, face aux difficultés qu’ils rencontrent sur place, décident de dépasser les différences de cultures qu’ils ressentent et entreprennent de découvrir la culture martiniquaise.

 

3.2. La référence à des amis

La connaissance d’amis (le plus souvent métropolitains, mais ils peuvent aussi être antillais et avoir été rencontrés en métropole) peut être une manière d’être confronté à la différence culturelle de façon moins abrupte. Ils permettent d’aider à l’adaptation des nouveaux arrivants en servant de médiateurs entre les deux cultures afin de donner sens et pertinences aux situations rencontrées. Cet accompagnement permet de relativiser les difficultés. Ainsi, ces amis par leur connaissance de l’île permettent d’accompagner les derniers arrivés, dans leurs premières expériences de la découverte de l’île. Ces amis peuvent être aussi bien martiniquais que métropolitains, notons que les premiers sont plus à même de donner des explications que les seconds.

Cependant la référence à des amis peut comporter un double handicap. Le premier : est qu’ils transmettent une vision subjective de la réalité de la vie sur l’île, en mettant l’accent sur les différences entre le mode de vie des métropolitains et des martiniquais, désignant ces derniers comme responsables de tous les dysfonctionnements. Ainsi ils ne font qu’affirmer une vision erronée de l’île, et ils contribuent, de cette manière, à accentuer, ou à renforcer les images préconçues et l’incompréhension des nouveaux arrivants face à la culture locale.

Le second : est que les nouveaux arrivant se retrouvent dépendants de leurs amis  « spécialistes de la Martinique » les empêchant de découvrir par eux-mêmes l’environnement dans lequel ils s’installent. Ils sont pris dans un maillage social proposé par leurs amis, ce qui peut les empêcher de construire des relations avec d’autres habitants de l’île et d’être exclus de la réalité locale.

 

L’adaptation dans ce cas peut être :

  • soit une simple reproduction de ce que l’autre a vécu, si les amis auxquels il est fait référence sont trop étouffants,
  • soit une intégration progressive dans cette nouvelle société grâce à l’accompagnement des amis.

 

3.3. L’expérience antérieure

Par expériences antérieures nous entendons tout ce que les métropolitains ont pu vivre, avant de venir s’installer en Martinique, et qui serait susceptible de leur avoir développer une ouverture d’esprit. Ces expériences peuvent être liées à une profession. Comme par exemple celles qui amènent à être directement au centre des rapports humains, comme les professions sociales, ou alors celles qui amènent des individus très différents à travailler en équipe dans un endroit isolé durant de plusieurs mois, comme les marins de la marine marchande, où sont employés des personnes de nationalités différentes.

Mais ça peut être aussi par le biais du voyage que certains individus peuvent acquérir cette ouverture d’esprit. Par la rencontre de populations de divers pays, et donc une première approche de la confrontation avec des cultures différentes de la sienne.

Mais cette ouverture d’esprit peut aussi se faire par l’adhésion à une religion comme, entre autre le bouddhisme, qui prône la tolérance entre les individus, et l’ouverture sur l’extérieur, sur l’Autre.

Ces différents vécus, favorisent la tolérance et le respect de l’autre dans sa différence. Ces personnes sont susceptibles de s’adapter avec plus de facilité que les individus qui n’ont jamais quitté leur région d’origine.

Bien entendu ces expériences peuvent être bénéfiques si l’on évite encore une fois les dérives extrémistes qui consisteraient dans ce cas là, comme nous avons pu l’observer lors de nos entretiens, la généralisation d’une expérience à toutes les différences auxquelles ces individus pourraient être amenés à rencontrer. Comme par exemple, l’argument qui nous a été donné à plusieurs reprises, et qui était : «  Moi j’ai déjà travaillé en Afrique, alors je connais le comportement des noirs, c’est pour ça que je sais comment les prendre ». Il est fait allusion ici, que ces deux populations Africaine et Antillaise parce qu’elles ont la même couleur de peau, sont identiques. Alors qu’elles correspondent chacune à des cultures et des sociétés différentes. De tels raccourcies de pensées, ne sont évidemment pas bénéfiques lors de la rencontre avec une nouvelle culture.

Cependant les expériences qui ont permis à l’individu une certaine ouverture d’esprit, un respect de la différence évite une attitude défensive et favorise son installation.

 

Dans ce chapitre nous constatons que les métropolitains ne s’attendent pas à rencontrer une telle différence de culture à leur arrivée. Face à ce décalage, ils adoptent une attitude défensive. Ils pensent arriver en territoire connu (même langue, mêmes administrations,…). Or, la réalité martiniquaise provoque de l’incompréhension par rapport à ce qu’ils ont imaginé. La majorité des nouveaux arrivants se trouvent en insécurité, ne pouvant pas agir sur le réel, ils adoptent une attitude de résignation et dénigrent le comportement des martiniquais.

Une adaptation aussi singulière, construite sur la résignation, est-elle viable sur le long terme ? Combien de temps peut-on subir ce qui ne nous convient pas ?

C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans les chapitres qui suivent.