Chapitre deux : Qui sont les métropolitains qui vivent en Martinique ?

 

 


Nous avons déjà vu que depuis la départementalisation de la Martinique, la population de métropolitains se destinant à vivre sur l’île, du moins durant un temps, ne cesse de s’accroître. Les premiers arrivés avaient autrefois pour mission de mettre en place les institutions administratives et éducatives. Celles-ci sont aujourd’hui, (soit 57 ans après la départementalisation), bien encrées dans le fonctionnement de la société martiniquaise, avec un personnel local parfaitement formé. A présent on peut se demander qui vient en Martinique et pourquoi. S’agit-il encore d’une nécessité pour le développement local, ou est-ce une migration de population individuelle, indépendante de la bonne marche de l’île ? Il y a t il des incidences sur la population locale ?

 

1. Qui vient ?

 

Il faut avant tout chose, signaler la difficulté d’établir une typologie de ce groupe, qui ne peut d’ailleurs être considéré comme tel que par leur identique origine d’appartenance.

Au début de la départementalisation, ce groupe pouvait être repérable par son activité professionnelle, principalement des métropolitains de la fonction publique civile et militaire, ou des membres du clergé. Aujourd’hui le nombre de métropolitains s’est accru, et les professions qu’ils exercent se sont considérablement diversifiées. Il n’est plus possible d’établir une typologie représentative à partir uniquement de ce critère.

Par conséquent nous avons tenté de n’établir non pas une typologie, mais des profils de métropolitains à partir de diverses variables. Nous avons retenu comme variables, le statut professionnel, l’âge, la situation conjugale (seul ou en couple), le sexe (pour les personnes venues seules). (CF annexe 2).

Pour cette étude, nous avons interrogés vingt six métropolitains. C’est à partir de ce groupe que nous allons tenter de dégager des profils d’individus.

 

1.1. La profession

Il est intéressant de constater que la population métropolitaine en Martinique s’est considérablement diversifiée au niveau professionnel. Le groupe est très hétérogène. Certes, les postes occupés par ces nouveaux arrivants ne sont plus uniquement les postes à responsabilités dans les institutions, mais leur position sociale reste, cependant souvent élevée. Ils exercent surtout dans les secteurs, où la Martinique connaît des difficultés de recrutement de spécialistes ; difficultés non spécifiques à cette dernière, puisque la métropole connaît elle-même un manque de personnes formées à ces fonctions. Il s’agit notamment des métiers de laborantins, pharmaciens, dentistes, et autres spécialistes du corps médical. Parmi les personnes que nous avons questionnées neuf font partis de ces branches professionnelles.

Dans ce groupe, nous constatons des distinctions entre les individus. Ils n’ont pas tous le même rang hiérarchique : parmi les laborantins nous pouvons distinguer les responsables de laboratoire des simples salariés. Même si la plupart sont des pharmaciens biologistes. Cette remarque est valable pour les autres professions, les métropolitains n’ont pas, dans chaque catégorie, tous les mêmes statuts.

 

Les seconds métiers fortement représentés sont, incontestablement, ceux des fonctionnaires. Ces derniers relativement nombreux s’inscrivent dans une vaste diversification postes. Que se soit dans l’éducation nationale, dans les entreprises d’Etat, dans l’administration en générale, au ministère de l’intérieur, ou dans le corps militaire, et à quelque niveau de responsabilités que se soit, des employés métropolitains de la fonction publique sont présents en Martinique. Moins nombreux que lors de la mise en place des structures départementales, leur présence reste cependant constante. Cette population de fonctionnaires, pourrait se réduire. En effet les privilèges économiques dont ils bénéficient encore actuellement (à savoir les 40% de vie chère ajoutée à leur salaire) risquent d’être reconsidérés prochainement. Cet avantage disparu, on suppose que les demandes de mutation pour la Martinique, seront amoindries.

 

Une troisième catégorie de métiers repérables, est celle des professions liées au tourisme, où les métropolitains sont les principaux acteurs. Ils tiennent en gérance des hôtels, des restaurants, des commerces et des lieux de distraction mis à la disposition des touristes en vacances. Ici encore, les personnes oeuvrant dans ces secteurs d’activités, peuvent être aussi bien des saisonniers employés pour quelques mois que des responsables de chaînes hôtelières, ou des personnes à leur compte. Dans d’autres secteurs, certains ont eux créés leur entreprise, ou leur société : nouveaux créneaux comme la publicité, la production d’artistes, ou encore reprise d’affaires déjà existantes.

 

Hormis ces trois grosses catégories, et leurs sous ensembles, les français venus de l’hexagone, peuvent travailler absolument dans tous les secteurs que propose le marché du travail, tout comme ils se retrouvent aussi dans ces marges. En conséquence, il n’est pas rare que des entreprises s’implantent en Martinique, amenant avec elles : leurs techniques, leurs technologies et leurs techniciens. A présent, on peut trouver des sociétés d’informatique ou de maçonnerie avec des employés uniquement européens. Ainsi nous constatons que des activités occupées par les métropolitains, étaient autrefois des postes, principalement tenus par des locaux, comme les travaux manuels, aussi bien agricoles que de construction.

Cependant, toutes les personnes qui viennent de métropole n’ont pas obligatoirement une activité professionnelle. Certains sont au chômage, d’autres n’ont volontairement pas d’activité professionnelle. Depuis peu apparaît aussi en Martinique, une nouvelle population dite « en marge ». Ces individus venus de France sont sans revenus et/ou sans domicile fixe et, parfois même, dépendant de la drogue, faisant la manche dans les rues de la ville principale de l’île, Fort-de-France.

En ce qui concerne ces derniers individus, le mépris de la population locale envers eux est très fortement ressenti. Dans cette société où le statut de l’homme blanc a été intériorisé comme supérieur, un tel comportement est vécu comme une provocation. Cette image du blanc ne correspond pas à celle qu’en n’ont les martiniquais, elle ne correspond pas à la conception que les martiniquais se font du statut, de la condition sociale du blanc. Par conséquent cette attitude n’est pas comprise, et mal interprétée par la population antillaise.

 

Une telle diversification, et un tel étalement dans les secteurs d’activités, nous montre combien la qualité de métropolitains n’est plus aujourd’hui représentative d’un statut professionnel, ni même d’un corps de métier. Être métropolitain de nos jours ne veut plus dire être responsable d’entreprise, enseignant, ou directeur de service de la fonction publique. Néanmoins dans bons nombres d’esprits, reste présent une certaine idée positive de sérieux et de confiance. Lors de la recherche d’un emploi, cet élément facilitera davantage l’embauche d’un métropolitain que celle d’un martiniquais. Cependant le développement de cette hétérogénéité professionnelle des métropolitains, est interprété par les locaux comme le vol du travail, qui autrefois, leur était réservé.

 

1.2. L’âge

Pour traiter cette variable de l’âge, nous avons prit l’âge des personnes interrogées lors de leur arrivée en Martinique. Ce critère rend plus homogène la population de métropolitain. En effet, nous avons constaté que la décision de venir vivre sur l’île est prise, varie entre 25 et 35 ans. Ces personnes sont par conséquent relativement jeunes. Leur décision correspond à un changement de vie qui est envisageable à cette période de l’existence. C’est souvent à la fin de leurs études, après l’obtention de leur diplôme que les jeunes métropolitains veulent venir acquérir une première expérience dans cette région de la France. Le choix de cette destination est, bien entendu, privilégié par son côté exotique. Cependant il est possible seulement dans certaines professions, où on enregistre de la demande. Nous avons vu que c’était le cas pour les dentistes, les laborantins et les pharmaciens, en particulier.

D’autres étant un peu plus âgés, et ayant déjà une première expérience de travail, souhaitent être mutés, pour quitter leur région et pour connaître autre chose. Ces demandes de mutation sont faites le plus souvent par des enseignants, et autres agents de la fonction publique.

A part ces recherches d’expériences professionnelles, la volonté de partir durant cette tranche d’âge de vie, est motivée évidemment par la situation familiale. Entre 25 et 35 ans, beaucoup de personnes sont encore célibataires ou simplement en couple, ou encore avec des enfants en bas âge. Ils peuvent se permettre de changer de cadre de vie, parce qu’ils n’ont pas de réelles obligations familiales ou bien parce que l’adaptation familiale sera plus facile avec des jeunes enfants. Ces facteurs facilitent la transition d’un lieu à l’autre. Leur motivation s’appuie également sur l’envie de découvrir de nouveaux horizons où se rajoute le côté exotique de la Martinique : l’éloignement, les plages, le soleil, les bains, les loisirs et les sports maritimes…poussent certains à tenter l’expériences.

C’est par conséquent entre cette tranche d’âge que les motivations de départ sont les plus nombreuses.

 

1.3. La situation conjugale

L’étude de l’âge nous permet une transition logique avec la troisième variable : la situation conjugale. Comme nous venons de le voir, la jeunesse des personnes qui s’installent en Martinique, induit l’absence de charge familiale. Ceci est vrai pour les personnes de 25 à 30 ans. Cependant dans la seconde tranche d’âge supérieur entre 30 et 35 ans le nombre de personnes en couple, avec des enfants en bas âge sont plus nombreux. Sur les vingt six métropolitains que nous avons interrogés, treize sont arrivés en couple, et sur ces treize couples, cinq avaient déjà des enfants en bas âge. Il semble évident que l’engagement d’un couple sans enfants, ne peut pas être identique à celui d’un couple ayant des enfants. Les responsabilités de ce dernier sont d’autant plus importantes qu’il doit veiller à la bonne adaptation de chaque membre de la famille. En effet, si l’un d’entre eux n’arrivent pas s’accoutumer au mode de vie local, c’est toute la famille qui sera amener à remettre en cause l’installation sur l’île. A l’inverse, pour un couple sans enfant, cette décision n’engage que des adultes susceptibles d’exprimer leur ressenti et de l’ajuster au contexte afin de s’adapter ou de revenir sur leur choix.

Les personnes qui sont en couple, avec ou sans enfant, constituent un groupe. Le changement de lieu de vie, d’environnement relationnel, provoque l’intrusion d’un groupe familial dans un autre groupe. Un des risques encouru par les nouveaux arrivants est de se replier sur eux-mêmes, dès les premières difficultés rencontrées avec l’extérieur. Le danger est de voir se constituer un face à face entre ces deux groupes, leur opposition étant alimentée par la peur de la différence. L’analyse de ces derniers problèmes évoqués, est reprise et approfondie dans le sixième chapitre de cette étude.

Nous avons rencontré aussi, des métropolitains venus seuls. Pour ces derniers, leur arrivée dans l’île est un choix qui n’engage qu’eux. Ils représentent douze personnes sur les vingt six rencontrées. Parmi ces douze personnes, nous notons la présence de seulement quatre femmes, donc moitié moins que les hommes, âgées entre 30 et 35ans. L’hypothèse que nous pouvons avancer est que dans cette tranche d’âge, les femmes sont en couple. Nous savons aussi que dans l’inconscient collectif une femme seule est imaginée davantage en danger qu’un homme seul. Puisque c’est une personne qui est considérée plus fragile que l’homme est moins capable physiquement de se défendre par elle-même. Par conséquent ceci peut être un élément qui les dissuade à partir seule. Cet élément est en plus accentué par la réputation que les antillais ont d’être des « coureurs de jupons ». Les femmes non accompagnées sont alors amenées à se sentir plus en insécurité que celles qui sont en couple. D’où un nombre de candidates au départ moins accru que celui des hommes.

 

1.4. Le Temps

A ces trois premières variables, il parait opportun d’y rajouter une quatrième, moins sociologique, mais tout aussi pertinente, qui est celle du temps, soit le nombre d’années qu’envisagent de passer les métropolitains en Martinique. Les prévisions des métropolitains peuvent être classées en trois catégories.

Certains savent dès le départ la durée exacte de leur séjour sur l’île. Il s’agit généralement de durée fixée par un contrat d’embauche qui définit un temps précis d’activité en Martinique. Ces personnes sont fréquemment des employés de la fonction publique qui ont été mutés ou qui ont demandés à l’être. D’autres viennent par leur propre moyen à la Martinique pour des raisons plus ou moins professionnelles. Ils n’ont pas définit la date d’un retour en métropole. Ils sont en Martinique pour une durée indéterminée, mais il en garde en vue l’objectif d’un retour. Leur passage peut donc varier de quelques mois à plusieurs années. D’autres enfin ne souhaitent pas retourner en France, et désirent établir leur domicile de façon permanente sur l’île. Ces derniers sont les moins nombreux. Le groupe métropolitain reste représenté comme un groupe en perpétuel mouvement. Certains arrivent quand d’autres partent ; des entreprises, des commerces, des restaurants se montent puis se ferment quelques temps après ; des maisons sont construites et revendues. Le groupe est présent mais les individus changent régulièrement. Cette dynamique a pour conséquence d’apparenter les métropolitains, à des personnes sur lesquelles les martiniquais ne peuvent s’appuyer, puisqu’ils ne savent jamais combien de temps ils vont rester sur l’île.

 

Nous venons de voir l’hétérogénéité de la population de métropolitains en Martinique. Leur statut, ainsi que leur profession, leur situation conjugale, leur genre, leur durée de séjour sur l’île, sont très variés. Seules la tranche d’âge, de le départ de France semble rendre homogène cette population. Tous ces critères énumérés, sont descriptifs de la population métropolitaine établie en Martinique. Mais ils jouent aussi, de façon plus ou moins positive, sur le processus d’adaptation que vont mettre en place ces différents individus.

 

2. Pourquoi viennent-ils ?

 

Après cette description sociologique des métropolitains, il convient de s’interroger sur les motivations qui les poussent à quitter la France pour vivre en Martinique. Comment lorsque l’on ne connaît pas, ou peu les départements d’outre-mer décide-t-on de partir y vivre ? Quels peuvent être les intentions, les buts qui suscitent le départ ?

 

2.1. Une expérience...

L’un des premiers moteurs de départ de l’hexagone des métropolitains est le désir d’acquérir une expérience. Quelle soit professionnelle ou personnelle, s’éloigner de son environnement d’origine pour acquérir de nouvelles connaissances, entraîne une réelle motivation.

 

L’expérience personnelle

Dans de nombreux cas, l’expérience professionnelle est la première source d’intérêt évoqué pour expliquer l’origine du départ pour la Martinique. Elle sous-entend une volonté de changement de lieu de vie et de vie. Le choix de cette destination n’est pas neutre. La Martinique offre ce dépaysement indispensable au changement de lieu : par sa distance avec la métropole, par son cadre « exotique », et par le contact avec les originaires. Elle permet cependant un changement de vie accompagné d’une certaine sécurité. L’île est française, les métropolitains sont sûrs de retrouver les éléments essentiels au bon fonctionnement de la vie quotidienne, à savoir la même langue, qui permet de communiquer facilement, et les mêmes structures administratives, qui leur permettent d’effectuer les démarches nécessaires au changement de domicile, sans difficulté majeures.

C’est ainsi que nombre d’entre eux, tentent cette expérience, en fonction de leur âge, de leur peu d’obligation familiale et matérielle, expérience, qu’ils pensent ne plus pouvoir se permettre dans quelques années.

 

L’expérience professionnelle

Cette seconde expérience est souvent utilisée, comme un argument, pour appuyer la première. Selon l’âge de la personne concernée, l’emploi trouvé sur l’île, est son premier exercice professionnel. L’expérience peut alors être positive comme négative dans le déroulement de sa carrière. Le fonctionnement de travail en Martinique est différent de celui de l’hexagone. Les conditions, le rythme de travail, n’y sont pas similaires (nous verrons ce point dans le chapitre suivant). Soit cette expérience leur apporte une réelle polyvalence, soit elle les forme à un mode de travail totalement différent de celui de la France, et les obligera à un effort de réadaptation, lorsqu’ils souhaiteront s’insérer dans les réalités du monde du travail métropolitain.

Les métropolitains ayant acquis une, ou plusieurs expériences professionnelles, réagissent différemment face au rythme de travail martiniquais. Certains, le rejettent, le nient. Ils tentent de reproduire le modèle connu et maîtrisé, pour chercher à se rassurer inconsciemment, ou essaient d’inculquer leurs connaissances à leur environnement professionnel afin de faire «  évoluer » le savoir faire local. Le résultat obtenu est souvent contraire à celui souhaité et il s’opère des résistances de part et d’autre.

On note à l’inverse, des attitudes positives face au rythme de travail local, dès lors, il s’instaure une relation de confiance entre les deux communautés, permettant un enrichissement réciproque. L’éloignement du milieu d’origine, la découverte d’un nouveau public, une économie et un contexte culturel différents vont inciter certaines personnes à s’aventurer dans un travail, dans un emploi, parfois fort éloigné de leur expérience professionnelle précédente.

D’autres, spécialistes d’une profession, mais n’excellant pas en métropole viennent l’exercer en Martinique. Les critères d’exigence n’étant pas toujours les mêmes, ils arrivent à se faire une nouvelle réputation, une nouvelle clientèle, parfois plus dense que celle de leur précédente région d’intervention. L’expérience dans ce cas, n’est pas un acquis mais un leurre. Car ils espèrent, ainsi, pouvoir continuer l’exercice de leur activité sachant que leur manque de compétence va pouvoir être gommé par l’éloignement avec l’hexagone et les critères qui y sont imposés.

 

Pour conclure, il est important de souligner que ce terme « d’expérience » revêt deux notions : celle de temps limité, l’expérience n’est qu’un moment de la vie, un vécu acquit, durant une période définie. La seconde notion découle de la première. L’absence de caractère définitif permet, si l’expérience se déroule mal, son interruption. Dans l’utilisation du terme « expérience », les métropolitains laissent entendre leur désir de retourner en métropole, à un moment ou à un autre.

 

2.2. Les connaissances qui encouragent au départ

Certains métropolitains choisissent d’aller s’installer en Martinique par l’encouragement de proches, ou de membres de la famille, qui y vivent.

La destination de la Martinique s’inscrit, bien entendu avant tout, dans une optique de départ, motivée par différents éléments : fin d’un contrat de travail, sentiment de s’enliser dans une routine, ou envie de quitter la France hexagonale.

La connaissance d’amis ou de famille sur place procure un double sentiment de sécurité renforçant l’intention de départ. L’expérience de leurs amis, leur permet d’avoir un aperçu de la vie locale et d’évaluer si c’est cela qui leur convient. Ils peuvent également grâce à ces personnes obtenir un appui leur procurant, du moins dans certain temps, une certaine quiétude en bénéficiant de leurs réseaux de connaissances, que se soit pour travailler, pour trouver un logement ou pour tout naturellement lier des amitiés.

Il arrive aussi que se soit après être venu en vacances chez des amis à plusieurs reprises, et parce qu’ils apprécient l’île, que certains décident de tout quitter en métropole pour venir s’y installer. D’autre encore, sont « invités » à venir y séjourner et décident de ne plus en repartir. Enfin, quelquefois, la décision de partir est déjà prise. Pour faciliter l’organisation du départ et les premiers pas sur l’île, ils font appel à ces amis ou utilisent les connaissance d’amis ou de voisins, de personnes déjà installées dans le département.

Ces amis, ces connaissances, ainsi que la famille peuvent être des métropolitains comme des martiniquais. Les métropolitains peuvent connaître des martiniquais, rencontrés en métropole, et repartis vivre en Martinique. Ou bien, s’ils vivent toujours dans l’hexagone, ils peuvent avoir rencontrés leurs parents qui les accueillent un temps de leur séjour sur l’île. Ils peuvent aussi, être membre par alliance d’une famille martiniquaise, par un conjoint antillais, connu en métropole.

Ainsi, certains métropolitains quittent la métropole, pour rejoindre, en Martinique, un groupe déjà constitué qui les accueillera, plus ou moins selon leurs attentes.

 

2.3. L’intérêt économique

Plus ou moins avoué par certains métropolitains, l’intérêt économique est l’un des arguments déterminant pour venir vivre en Martinique : des avantages financiers sont attribués par leur employeur, à ceux qui acceptent de se déplacer dans ces départements d’outre-mer. C’est le cas, notamment des fonctionnaires, qui reçoivent un surplus de quarante pourcent de leur salaire, pour compenser le coût de vie plus élevé qu’en métropole. Ceci est vrai pour certains produits et notamment pour les produits alimentaires qui sont incontestablement plus chers. Cette mesure est fortement discutée par les antillais notamment qui ne perçoivent pas cet avantage. En effet, nous pouvons nous interroger sur la réelle pertinence de ce privilège puisque les fonctionnaires martiniquais perçoivent les mêmes salaires que les fonctionnaires de métropole (à postes équivalents). Comment, font-ils pour consommer si les mêmes produits aux coûts si élevés ? Ce constat nous autorise à penser que cet avantage financier a été instauré plus pour encourager l’installation de métropolitains dans les DOM, que pour une réelle compensation du coût de la vie.

Vivre sur l’île, présente un autre avantage financier. L’investissement y est défiscalisé par l’Etat afin de promouvoir l’installation d’entreprises dans les départements d’outre-mer et redynamiser l’économie. Cette défiscalisation profite aussi aux particuliers qui souhaitent investir dans l’achat, ou la construction de biens immobiliers. Elle n’est cependant effective que pendant cinq ans. Ce temps, permet à certains métropolitains de faire des économies, ou de réinvestir cet argent dans des épargnes rentables. Nous avons constaté qu’au terme de ces cinq années, plusieurs métropolitains revendent leurs biens immobiliers, pour réinvestir ailleurs et bénéficier à nouveau de la défiscalisation, ou pour rentrer en métropole.

Enfin, l’intérêt économique est convoité par ceux qui souhaitent monter leur commerce, ou leur entreprise. Sans généraliser, cette démarche à toutes les activités commerciales sur l’île, certains laissent transparaître leurs intentions par leurs démarches. Le but de l’investisseur de l’activité, souvent liée au commerce du tourisme, n’est pas de pérenniser l’entreprise, mais de gagner un maximum d’argent en un minimum de temps. La Martinique attire ces personnes par l’image exotique et touristique qu’elle véhicule. Comme nous l’avons vu dans notre introduction, malgré le déclin du tourisme constaté ces dernières années en Martinique comme dans les autres départements d’outre-mer, des métropolitains viennent sur l’île, pensant y trouver « l’eldorado ».

Ces arguments énoncés, ne sont sans doute pas les seuls. Ils sont le plus souvent cités, lors des entretiens que nous avons effectués. Nous les avons hiérarchisés pour une meilleure compréhension. Néanmoins, les métropolitains ne nous les ont pas présentés aussi distinctement les uns des autres ; ils ont pu les évoquer tous à la fois, tout comme n’en exprimer qu’un. Cela dépend, ensuite de chacun cas prit individuellement.

 

3. Où se situent géographiquement les métropolitains sur l’île ?

 

Il est intéressant de savoir si nous pouvons repérer les métropolitains dans une zone spécifique de l’île, ou bien s’ils sont totalement dispersés dans la Martinique, afin de voir s’il y a un regroupement géographique entre métropolitain ou pas.

 

3.1. Trois zones géographiques

A première vue, on observe une plus forte population blanche dans le sud de l’île que dans le nord. Il est curieusement possible de ne rencontrer aucune personne de couleur sur une plage de Sainte Luce, tout comme il est facile de ne croiser aucune personne blanche dans les rues du Prêcheur. (CF annexe 3).

Une majorité des vingt six métropolitains interrogés demeurent dans le sud, ce qui semble confirmer notre première impression. En effet, sur les vingt six personnes, dix-sept habitent dans la zone du sud ; territoire que nous pouvons délimiter en traçant une ligne imaginaire entre les communes Casse-Pilote et du Robert, séparant la Martinique en deux. (CF annexe 2 et 3).

Nous remarquons une concentration de métropolitains sur la presqu’île de la Caravelle et Trinité, qui se situe un peu plus au nord de cette ligne imaginaire. Au centre de l’île, la commune de Saint Joseph, proche de Fort-de-France, accueille un certain nombre de métropolitains. Quatre personnes parmi celles que nous avons sollicitées, y demeurent .

Nous relevons trois zones principales de résidence des personnes venues de métropole :

  • Les communes en périphérie de la capitale, Fort-de-France : inscrites dans un arc de cercle reliant les bourgs de Schoelcher, Saint Joseph et le Lamentin.
  • La presqu’île de la Caravelle incluant la commune de Trinité.
  • La côte sud de l’île qui s’étend des Trois Ilets à Sainte Anne. Nous constatons une forte représentation de cette population entre les Trois Ilets et le Diamant, ainsi que dans la commune de Sainte Luce.

Les personnes questionnées ont, en majorité, choisi leur lieu de résidence. Trois d’entre elles, seulement habitent dans un logement de fonction. Elles vivent, d’ailleurs, dans le nord de l’île.

 

3.2. Comment les métropolitains expliquent-ils ces regroupements ?

Nous pouvons alors nous interroger sur ce qui amène les métropolitains à choisir ces zones pour établir leur logement. Plusieurs personnes avancent l’argument de la proximité du lieu de travail. Effectivement, Fort-de-France, capitale économique, centre administratif, ville principale de l’île, regroupe les lieux de travail de la plupart des métropolitains. En outre, l’immense zone commerciale qui y est accolée, réunit un nombre considérable des actifs de l’île. Nous constatons que la majorité des emplois se situent dans Fort-de-France. Par conséquent, toute personne qui souhaite atteindre la ville, aux horaires habituelles de travail, se retrouvent bloquée dans les embouteillages. Ainsi, c’est pour éviter ces inconvénients qu’une partie importante de ces salariés dont les métropolitains a fait le choix d’habiter dans les communes périphériques à l’agglomération.

D’autres métropolitains ont choisit de vivre au coeur des avantages que proposent l’île : à savoir habiter prés de la mer : la mer caraïbe, ou l’océan atlantique. Ils souhaitent profiter d’une qualité de vie qu’ils ne connaissaient pas en métropole. La recherche d’une habitation en bordure de mer, d’une plage sablonneuse offre un cadre de vie correspondant à l’image qu’ils ont conçue de la Martinique lorsqu’ils demeuraient en métropole. Ils tentent ainsi d’associer une qualité de travail à un environnement au quotidien exotique. Les personnes qui vivent entre la Pointe du Bout et l’Anse à l’Âne, peuvent se rendrent à Fort-de-France par bateau. Ce nouveau mode de transport leur évite les embouteillages. Son utilisation est vécue comme un luxe. C’est ce que nous explique une métropolitaine qui habite l’Anse à l’Âne, et qui travaille à Fort-de-France:

 

« Ici c’est un paradis…, de vivre là, je vais travailler en prenant le bateau, les pieds dans l’eau je débarque sur une plage, je rentre chez moi, je débarque à nouveau sur une plage… c’est un moyen de transport qui m’évite les embouteillages, mais en même temps c’est Thalassa […] je suis en 20 minutes chez moi, et je n’ai eut que des agréments, j’ai eut la mer, le bateau de temps en temps des dauphins qui passent, c’est du rêve, c’est une perpétuelle rêverie, on a que des côtés sympas…  ».

 

3.3. Le sentiment des martiniquais

La plupart des métropolitains se retrouvent ainsi, à proximité les uns des autres, car ils recherchent tous un cadre de vie fait de tranquillité et d’exotisme, dans certaines zones de la Martinique. Face à ce constat, nous pouvons nous demander quelles conséquences peuvent avoir ces regroupements pour les martiniquais.

L’installation d’un certain nombre de métropolitains dans une succession de communes voisines est aisément remarquable. Car sur une île où la majorité de la population est noire, le rassemblement de personnes blanches dans certains quartiers, ou bourgs, est visuellement interpellant. Cette installation massive de métropolitains dans ces lieux, provoque un déséquilibre sociologique. En effet, les martiniquais deviennent une minorité sur leur territoire d’origine. Les martiniquais constatent ce phénomène et le vivent douloureusement. Ces communes et ces bourgs sont devenus à leurs yeux des ghettos blancs où leur présence semble gênante. La zone qui s’étend de la côte sud de l’île des Trois Ilets à Sainte Anne, est appelée par la population locale « la côte blanche ». Une martiniquaise nous disait à ce propos :

 

« Moi avant j’allais à la plage là-bas [sur cette côte], mais maintenant les rares fois où j’ose y aller, je me sens mal à l’aise. J’ai l’impression, par leurs regards [ceux des métropolitains] d’être une intruse, alors je m’en vais… ».

 

Par ce témoignage, il semble assez clair que les martiniquais se retrouvent dans une position de minorité face aux blancs, et s’y sentent mal à l’aise. Ce sentiment d’être un étranger, leur parait d’autant plus inconcevable qu’ils sont en Martinique chez eux, et qu’ils ne devraient donc pas à avoir à ressentir cela. Cette intrusion massive de l’autre (le blanc) peut être vécu comme dangereuse et provoquer un sentiment de rejet et d’amertume. Nous décelons parfois ce ressenti dans le discours de certains habitants de l’île vis-à-vis des attitudes des métropolitains .

 

3.4. Interpréter autrement ces rassemblements 

Après avoir dégagé l’explication donnée par les métropolitains sur la question, et avoir recueilli l’avis des martiniquais, nous pouvons voir que par ces rassemblements dans des quartiers ou des bourgs de la population blanche, il semble qu’il y est un inversement de condition par rapport à la disposition générale de l’île. Les blancs, minoritaires sur l’île, recréent, par ces regroupements dans certaines zones, une population majoritaire où les gens de couleur, sont les minoritaires. Les seuls arguments de qualité de vie, et d’exotisme évoqués par les métropolitains, ne semblent pas être les uniques raisons de ces regroupements géographiques. La question que nous pouvons légitimement nous poser, est la suivante : qu’est ce qui amène les blancs à rechercher la proximité de personnes qui leur ressemblent ?

Il faut se souvenir, que dans la société martiniquaise les métropolitains représentent vraiment une minorité de la population. Au dernier recensement le nombre d’habitants en Martinique était de 381 427 personnes (chiffres de l’INSEE, CF annexe 4), dont la population métropolitaine représente 4%, soit prés de 15 260 personnes. L’appartenance à cette minorité, nous l’avons déjà précisé, se repère au physique de la personne, elle est blanche. Cette appartenance n’est donc pas dissimulable.

Cependant le statut de minorité (pour les blancs), au sein d’une société n’a rien de rassurant. Leur différence de couleur permet aux martiniquais de les repérer et de les identifier, aisément. Cette différence de couleur, est vécue par le groupe minoritaire, comme une menace. Dès lors, pour pallier à cette peur de l’autre, les métropolitains, de façon plus ou moins consciente, cherchent à se rapprocher du groupe où leur crainte s’atténue.

Cette peur que ressentent certains métropolitains vis-à-vis des martiniquais, est non seulement due à la différence culturelle, mais est aussi liée à l’histoire de l’homme blanc dans son opposition ou dichotomie à l’homme noir. Autrement dit c’est parce que le martiniquais est noir que cette peur est accentuée. Nous ne sommes pas sans savoir que l’Europe au travers de ces siècles de colonisation s’est forgée une image de l’Africain (donc du noir). Ces métropolitains, parce qu’ils sont des occidentaux ont intériorisé cette image là. L’imaginaire collectif des blancs véhicule donc, une représentation de l’homme noir qui peut être la suivante : il est mauvais (c’est encré dans son épiderme qui est noir, par distinction au blanc qui est le bien, le bon), il est agressif, (rappelons nous qu’il était, il y a quelques siècles encore anthropophage), il est donc dangereux. Ces raisonnements ont été élaborés, principalement, au cours de deux siècles : le seizième et le dix-septième. Malgré les changements idéologiques qu’il y a pu avoir depuis cette époque, en ce début du vingt et unième siècle, cette image demeure vivace au plus profond des européens et de certains français en particulier. Car comme nous le dit William B. Cohen : « …les constructions mentales tendent, comme chacun sait, à perdurer et à résister aux changements. »Cohen, William B., 1981, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880.. Nous tenterons d’analyser dans les pages suivantes à partir d’indicateurs repérés, ce besoin de regroupement des blancs et de créer paradoxalement un groupe à part entière au sein même de la société martiniquaise.