Introduction

 

 

 

« Soirée Zouk », « Soirée Antillaise », « Zouk love », « Soirée zouk sensation », « Venez zouker de minuit jusqu’à l’aube », « dîner dansant tropical, boissons à discrétion »… telles sont les diverses invitations que les affiches dispersées dans la ville de Marseille proposent aux passants. Face à l’abondance de ces soirées (plusieurs sont organisées par mois) on peut se demander si le zouk et la musique antillaise en général s’inscrit dans un effet de mode en ce début de vingt-et-unième siècle ou si ce genre de distraction correspond à la demande et donc à l’existence d’une population antillaise à Marseille qui se réunit notamment par l’organisation de ces événements. Cependant à part ces affiches de soirées et quelques enseignes de restaurants, les Antillais qui vivent à Marseille ne sont pas, au premier abord, visuellement repérables au sein de la ville. Or la multitude de soirées organisées nous amène à penser que les originaires des Antilles sont présents en nombre dans cette ville. L’existence de ces soirées permet de supposer qu’ils cherchent à se rencontrer. Mais dans quel cadre ces rencontres s’organisent-elles ? Simple divertissement, acte de solidarité, recherche de « compatriotes », recréation de l’ambiance du département d’origine… ?

 

Ce sont toutes ces premières interrogations qui nous ont amené à nous intéresser de plus prés à cette population, et particulièrement cette population dans la cité phocéenne. Pour cela nous sommes partis de cette question de départ : existe-t-il une communauté antillaise à Marseille ? Répondre à cette question exige au préalable une première définition des termes qu’elle comprend. Les deux principales notions que contient ce questionnement, et qu’il faut définir, sont la « communauté » et la « population antillaise ».

Qu’est-ce qu’une communauté ? La communauté est une notion qui a beaucoup été étudiée dans les divers champs de l’anthropologie, elle a donné lieu à un certain nombre de définitions qui ont eu un impact plus ou moins significatif dans la recherche. Aujourd’hui la définition à laquelle l’on se réfère généralement est celle donnée par l’école de Chicago. Selon le groupe de sociologues qui composent cette école, une communauté est centrée autour de la défense d’intérêts communs, de l’affirmation de valeurs communes et de la mise en acte de pratiques collectives, et est caractérisée par une solidarité de groupe et par des formes repérables d’appropriation de l’espace. L’utilisation de cette définition pour l’étude des Antillais qui vivent à Marseille semble particulièrement appropriée, parce que le courant de pensée développé par cette école s’est attaché à l’analyse des communautés en milieu urbain, comme c’est le cas de notre recherche.

La population antillaise, quant à elle, désigne des individus originaires de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane française. Elle est caractérisée par une ascendance africaine au moins partielle, autrement dit, il s’agit d’une population « de couleur ». Ces trois départements d’outre-mer, même s’ils ont connu des histoires parallèles, présentent chacun des spécificités qui subsistent dans la migration et dont l’analyse doit tenir compte. Dans l’échantillon de personnes que nous avons enquêtées, seule une personne est originaire de la Guyane. Par conséquent même si nous définissions au départ la population antillaise comme les originaires de ces trois départements, il est plus juste, n’ayant rencontré que peu de Guyanais, de restreindre cette population aux îles de la Guadeloupe et de la Martinique. Cette population désigne aussi des personnes qui ont elles-mêmes émigré, récemment ou depuis une dizaine d’années, des personnes qui sont nées en France métropolitaine (les « deuxième » et « troisième générations »), et également des personnes qui résident alternativement aux Antilles et en métropole. Au niveau plus spécifique de Marseille, nous pouvons décrire cette population comme étant des personnes de catégories socio-professionnelles basses, la plupart sont des ouvriers peu qualifiés, quelques uns sont fonctionnaires, mais ce n’est pas la majorité comme certains auteurs ont pu le constater dans la région parisienne. De plus on peut observer qu’en ce qui concerne l’espace, la population antillaise se trouve disséminée à travers les différents quartiers et arrondissements de Marseille. L’habitat, les commerces, les restaurants et autres lieux de sociabilité antillaise se trouvent éparpillés dans l’espace urbain.

 

A partir de ces éléments et des écrits sur la population antillaise en métropole qui ont été nombreux dans les années quatre-vingt, nous allons essayer de construire une analyse permettant de répondre à cette problématique. Nous supposons au début de cette étude que la population antillaise ne peut pas se caractérisée par le terme de communauté. Mais divers éléments, comme notamment l’organisation abondante de soirées, nous laisse penser que les Antillais sont unis les uns aux autres d’une certaine manière, qu’il va nous falloir définir. Pour rechercher ce qui unit les originaires des Antilles entre eux, nous avons centré notre recherche de terrain sur les liens de sociabilité entre sujets de même origine et sur la question du sentiment d’appartenance à la population antillaise. Ainsi nous avons développé notre recherche en deux points principaux :

Dans une première partie nous essayons de voir si l’on peut parler de communauté pour les originaires des Antilles qui résident à Marseille, en nous attachant d’abord à retracer l’histoire de l’émigration antillaise qui permet notamment de comprendre les comportements des Antillais en métropole aujourd’hui. Puis nous décrivons qui sont justement ces Antillais qui vivent à Marseille depuis les premières migrations. Ensuite par un retour théorique sur la notion d’identité nous retraçons comment s’est élaborée l’identité antillaise, premièrement aux Antilles puis en métropole. Enfin pour achever cette première partie nous recherchons à savoir, à travers les écrits de plusieurs auteurs et nos données de terrain, si l’on peut vraiment parler de cette population en terme de communauté.

Dans la seconde partie, nous analysons quelles ont été les formes de structures collectives déjà été développé par les Antillais en France métropolitaine. Puis à travers le récit de vie de trois individus appartenant à trois générations différentes, nous mettons en avant comment les migrants se sont rencontrés dans l’hexagone, et l’évolution qu’il est possible d’observer entre ces trois générations. Finalement nous tentons de nommer autrement que par le terme de communauté la réalité que présente cette population en décrivant les liens que nous avons pu mettre en relief par nos observations dans la ville de Marseille.

 

Ainsi nous avons essayé de dresser un portrait de la population antillaise résidant dans la région marseillaise à travers le biais des relations sociales et de leurs évolutions depuis les premières vagues d’émigration des originaires des départements d’outre-mer, jusqu’à aujourd’hui.