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Introduction

 

 

Les populations de la plupart des grands pays occidentaux vieillissent. Les démographes l’affirment. Comme principaux facteurs d’explication de ce vieillissement, il est fréquemment mentionné les progrès de la médecine et de la qualité des soins, l’élévation générale du niveau de vie, autant d’effets qui auraient contribué à augmenter l’espérance de vie, et qui seraient conjugués à une baisse de la natalité. Cette situation est tout à fait singulière. Certes, nous savons que dans toutes les sociétés du monde, et dans les périodes les plus anciennes de l’histoire, des vieillards ont toujours existé. Mais ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est d’abord la grandeur du nombre. Les personnes de 60 ans et plus, âge considéré comme un archétype historique de la vieillesse par BourdelaisBOURDELAIS P. 1993. L’âge de la vieillesse. Paris : Odile-Jacob., représentaient 8,9% de la population française en 1800. En 1996, le chiffre est de 20%, et les projections démographiques annoncent un accroissement continu de cette catégorie, 25% en 2010, 30% en 2025. La société s’interroge donc pour savoir comment supporter le poids de cette population, comme en témoigne la récente réforme des retraites. Mais il est également question de la prise en charge, de l’aide au quotidien, que nécessite une partie importante des personnes de plus de 60 ans. Les maisons de retraite et les établissements de santé sont-ils appelés à remplacer la famille dans cette fonction ? La société s’inquiète, aussi, car derrière les statistiques de la vieillesse, pointe le spectre de la mort. On ne guérit pas du vieillissement. Et l’inéluctable devient de plus en plus difficile à admettre, quand l’homme a réussi à repousser si loin de sa vie les lois de la nature. Par peur de vieillir, l’homme s’efforce de rester jeune. Par peur de mourir, l’homme se met à rêver de l’impossible, et prie la Science de faire qu’un jour l’éternité ne soit plus un mythe. Le vieillissement pose un problème sur ce qu’est l’humain.

Actuellement, un débat social est engagé sur le sujet, et au centre, la question : que faire face au vieillissement ? La question semble avoir d’autant plus d’importance qu’il y a un vrai déficit de repère pour penser le bien et le mal dans cette situation. Avec l’épisode de la canicule durant l’été 2003, les journalistes ont saisi toute la puissance émotionnelle du vieillissement. Depuis, nombre d’émissions, de reportages, ou d’interviews qui traitent de ces représentations, comme l’isolement des « Personnes Agées », le désarroi des familles, le dévouement ou les manquements du personnel soignant, sur un ton le plus souvent moraliste. Les responsables politiques, pressés sous le feu médiatique, enchaînent déclarations et actions stratégiques : d’abord le « plan blanc » pour l’urgence, puis le « plan vieillesse » pour renforcer, enfin le « plan canicule » pour prévenir. Les médecins offrent un éclairage de spécialistes sur le problème, et expliquent la typologie de la dépendance, les effets des maladies liées à la vieillesse, les limites et les promesses des futurs traitements. Des acteurs associatifs et représentants des familles dénoncent l’âgisme, ce racisme contre les « vieux » et en appellent à la responsabilité des pouvoirs publics et des citoyens. Parmi toutes ces voies, on peut se demander si le problème du vieillissement ne convoque pas également à la réflexion et au débat les sciences humaines et de la société.

Pour l’ergologie, il peut être intéressant de voir ce que le vieillissement fait exister comme activité. Dans les cas du journaliste, de l’homme politique, du médecin, ou du militant, l’évolution de la vieillesse alimente un certain travail, mais elle n’est qu’un sujet parmi d’autres, et ils n’en font que l’écho. Un secteur professionnel semble pourtant plus directement et spécifiquement concerné par le sujet, celui de la gérontologie. Ce secteur connaît depuis une trentaine d’année un fort développement, en lien étroit avec l’augmentation des personnes de plus de 60 ans dans la population. Un grand nombre d’établissements, type maison de retraite, ont été créés pour assurer une prise en charge aux « Personnes Agées ». Autrefois régis par des règles familiales, s’occuper et prendre soin des « Personnes Agées » correspond aujourd’hui à des activités exercées dans un cadre professionnel. Ce qui me questionne dans ce travail, c’est la relation qu’il opère entre d’un côté le problème que représente le vieillissement de la population, et de l’autre le traitement de ce problème. En effet, si notre manière de penser les choses sépare le vieillissement du contexte social et l’isole pour en faire un objet d’étude autonome, dans l’activité de soin aux « Personnes Agées », ce qui fait le problème et ce qui fait le traitement sont réunis, mélangés, et existent dans une même réalité. L’analyse des situations de travail des soignants permet de s’interroger sur cette manière de penser les choses, et notamment sur ce qu’elle génère. Pour qualifier leur activité, les soignants disent fréquemment qu’ils travaillent « sur de l’humain ». Qu’est-ce que cela signifie ? Il semble donc nécessaire de rechercher, dans les situations où le problème est mis en relation avec son traitement, c'est-à-dire ici lorsque les soignants agissent sur les « Personnes Agées », ce qu’il se créé en terme d’échanges, de croisements, voire de délégation, et qui reste jusque là invisible. Voilà donc le problème qui me préoccupe : en quoi l’activité de soins aux « Personnes Agées » est un travail sur de l’humain ?

C’est avec une approche inspirée de l’ethnologie, ma discipline initiale, que j’ai cheminé vers ce problème. Ayant appris à regarder ce que les problèmes humains font exister comme pratiques et représentations, je me suis d’abord tourné vers les soignants de « Personnes Agées » pour voir ce que leur activité avait à nous dire sur le vieillissement. Cette année, lors du stage en entreprise, j’ai eu la possibilité d’intervenir auprès des personnels soignants du Centre Gérontologique Départemental (CGD) à Marseille. Cette expérience de la démarche ergologique m’a conduit à creuser davantage la question de l’activité, en regardant à la loupe ce que les soignants faisaient, donc quelles étaient leurs compétences. Suite à une enquête de terrain, je dispose d’un ensemble de données, à partir desquelles je vais étayer et illustrer mes analyses. Pour autant, ce mémoire n’est pas construit comme une extension du rapport de stage. L’objet que j’étudie ici n’est en rien la réponse à une commande – mais plutôt la réponse à une convocation – et le questionnement se situe au niveau des concepts et cadres théoriques qui peuvent être mobilisés pour travailler l’objet en question. La réflexion que j’entreprends d’ouvrir ici, soulève un problème complexe : qu’est-ce que le travail – en particulier celui des soignants de « Personnes Agées » – fait exister d’humain ? Il ne s’agit donc que d’un essai, d’une tentative, dont il convient par avance d’avertir le lecteur sur les limites, notamment celles du langage employé (imprécision des termes), celles du champ couvert (restrictif au cadre de l’enquête), celles de la connaissance des concepts (maîtrise partielle). De plus, les lectures effectuées restent sommaires au vu de la littérature en lien avec le sujet. Pour comprendre l’humain que met en forme l’activité de soin aux « Personnes Agées », et comment se saisir de cet objet, je vais m’interroger dans une 1 ère partie sur les outils qu’offre l’ethnologie, et leur pertinence dans l’analyse des situations de travail des soignants. Ensuite, je vais montrer quelles peuvent être les données recueillies sur le terrain par cette approche, et quels concepts j’utilise pour en faire une lecture. Enfin, dans une 3 ème partie, je tenterai de mettre en relation les interprétations obtenues avec des possibilités d’actions et de transformations.

 

 
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