Une suggestion ? Ecrivez-moi

Compte-rendu de l’observation n°3

 

 

Au Centre Gérontologique Départemental, Marseille, pavillon de l’Estaque, mars 2004

J’arrive vers 6h30 du matin, et je retrouve Chantal, aide-hôtelière, pour qu’elle me fasse découvrir quelle est son activité de travail tout au long de sa journée.

Ce qui est écrit entre guillemets « », ce sont les propos rapportés de Chantal.

En italique, sont notées mes remarques personnelles

 

Chantal est en train de préparer et de servir les petits-déjeuners aux résidents d’une unité Elsheimer, cela fait parti de ces tâches. Elle m’explique que le matin, il faut 1 ASH dans chacune des unités du RDC, tandis qu’un seul suffit pour les deux unités du 1 er étage.

Pendant qu’elle sert le petit-déjeuner, elle commence à m’expliquer le fonctionnement de la lingerie en général. Chaque matin, les deux entreprises de blanchisserie apportent le linge propre. Les grosses journées, ce sont le mercredi et le jeudi, c’est là où il y a tout le linge du week-end qui est rapporté, et qu’il faut ensuite ventiler dans les chambres des résidents.

Chantal m’explique qu’il arrive parfois qu’il y ait des plaintes de la part des familles sur l’état des vêtements, mais elle répond qu’ici, c’est une institution, et que les linges délicats ne sont pas très adaptés puisqu’ils passent dans des laveries industrielles (des machines de 200 kg)

Chantal m’explique que le CGD sous-traite sa blanchisserie auprès de 2 entreprises : une pour le linge hôtelier (draps, serviettes, têtes d’oreiller, couvre-lit) plus les vêtements du personnel, l’autre pour le linge des résidents.

Avant, le personnel nettoyait lui-même ses vêtements, mais depuis 2 ans c’est pris en charge. Chantal m’explique que les vêtements du personnel sont lavés à la fois pour une question de stock et de gestion, et à la fois pour une question d’hygiène, car ramener du linge sal chez soi, ce n’est pas très prudent (il peut y avoir certains risques). Chantal m’apprend que la décision de faire prendre en charge le lavage des vêtements du personnel correspond à une demande de longue date du personnel.

Chantal m’explique qu’avant, on disait qu’il fallait un roulement de 3 (c’est à dire 3 pantalons, 3 chemises, 3 pulls), mais que l’idéal, c’est un roulement de 5, comme il y a maintenant. Parce que 3, c’était vraiment le minimum : 1 qui est propre, 1 qui est sal, 1 qui tourne. Et si la personne tâche sa tenue qui est propre, il n’y en a pas d’autre pour la remplacer. Avec un roulement de 5, cela permet de couvrir les incidents, et si jamais il y a un bouton à recoudre, ou du raccommodage à faire, cela ne pénalise pas la personne. Chantal m’explique que pour le personnel aussi, il y a maintenant un roulement de 5 tenue, soit 1/jour.

Tout le linge n’a pas le même statut : il y a le linge loué, et le linge acheté. Par exemple, une personne âgée (PA) qui n’a pas de vêtement est habillée des pieds à la tête par l’établissement. Les vêtements de certains résidents sont donc achetés. En revanche, les vêtements du personnel sont loués.

Les achats sont de 2 types :

- ce qui est budgété, c’est à dire prévu d’acheter en fonction du budget

- les achats directs, au coup par coup, par exemple lors d’une urgence, où une personne arrive à Montolivet directement depuis son domicile et n’a rien à se mettre.

Chantal m’explique qu’on récupère les vêtements, qu’il y a un système d’échange « les morts font vivre les vivants » : il y a un fond constitué par les donations, du fait que les familles des défunts ne récupèrent rarement les vêtements. Par exemple, lorsqu’il y a eu les 1 ers décès à l’Estaque, il y a eu un apport de vêtement, ce qui a permis d’avoir plus de leste dans le système.

Chantal a fini de servir les petits-déjeuners aux résidents qui sont levés, et avant de quitter l’unité, elle indique à l’infirmière ainsi qu’à l’AS le nombre de petits-déjeuners qu’il y a encore à servir (pour les résidents qui ne sont pas levés), en comptant le nombre de bols propres qu’il reste. Comme elle connaît également tous les résidents de l’unité, ce ne sont pas des « bols anonymes » qu’elle compte, et elle peut vérifier que ceux qu’elle a vu ce matin, sont ceux qu’elle voit d’habitude. (son système de distribution des petits déjeuner lui permet de repérer si il « manque » quelqu’un, si il y a quelque chose d’anormal).

Nous nous rendons à la lingerie, où elle m’explique un peu plus précisément le système (l’activité de lingerie dans un établissement comme le CGD me semble être organisé de manière suffisamment complexe pour parler de « système » : il y a le circuit du linge propre, celui du linge sale, il y a plusieurs types de linges, qui n’ont pas tous le même traitement, il y en a qui est stocké, d’autre qui est distribué. Par le mot de « système », on désigne l’ensemble des actions qui font parties du traitement de linge).

Il y a un fonctionnement par dotation pour le linge hôtelier : chaque jour il doit y avoir un fond de 55 draps. Chantal vérifie donc à partir du bon de livraison : ce matin, elle compte 50 draps au lieu de 55, mais elle dit que c’est bon, parce que quelqu’un a du en prendre 5. Même chose pour les serviettes : elle compte le nombre de serviettes propres livrées, et n’en trouve que 30 sur les 35 de prévu. Là aussi, elle dit que c’est bon, que les 5 manquantes, ce doit être quelqu’un du service qui est venu les prendre. Un peu plus tard, elle pose la question à un AS, qui confirme.

Ensuite, elle compte les vêtements des soignants, et là constate une erreur sur les vêtements des CES : il n’y en a qu’1 au lieu de 2. Là, elle dit que ce n’est pas normal, car personne n’a pu en prendre 1 ce matin : Chantal connaît l’équipe du matin et sait qu’il n’y a pas de CES aujourd’hui. De plus, elle m’explique que les soignants peuvent venir chercher du linge (draps ou serviettes) pour les résidents quand ils en ont besoin, mais qu’ils ne prennent pas de tenues pour eux dans le magasin, ou alors ils le signalent. Chantal m’explique qu’un autre type d’erreur qui peut arriver, c’est quand elle reçoit le vêtement d’un personnel d’un autre service que l’Estaque.

 Chantal m’explique le système des couleurs pour identifier les différentes catégories du personnel soignant, IDE blouse blanche liseré rose pour les femmes, pas de liseré pour les hommes (sauf sur les 3 poches), AS blouse verte claire liseré blanc pour les femmes, vert pré pour les hommes, ASH tunique bleue liseré blanc pour les femmes, sans liseré pour les hommes. La surveillante a elle une blouse blanche, comme les IDE, mais avec un liseré bleu buggati, l’aide-hôtelière a une blouse rose liseré blanc, les CES ont une casque bleu pétrole (la couleur est la même pour les hommes et les femmes, seules la coupe diffère), la secrétaire médicale a une blouse blanche liseré bleu ciel, et les médecins ont une simple blouse blanche.

Chantal monte au 1 er étage 10 draps, qu’elle apporte dans une unité. Elle dit à l’élève BEP qu’elle croise, qu’elle peut prendre les draps pour les mettre dans l’autre unité du 1 er étage si elle en a besoin.

Chantal m’explique que le contrôle du petit linge doit être fait avec le livreur : ce doit être un contrôle contradictoire. L’entreprise passe entre 6h30 et 7h00 le matin, donc elle est présente à son poste à cette heure-là, alors que normalement elle est censée commencer qu’à 7h00.

Une partie du linge des résidents peut être lavé sur place, puisqu’il y a une machine à laver, et un séchoir, mais en ce moment il est en panne. Ce matin par exemple, elle trouve dans la lingerie un pull-over, mais elle me dit qu’on ne fait pas tourner une machine à laver de 30 kg juste pour un pull, c’est une question d’économie.(ici il y a usage d’un système de valeur qui lui fait considérer avec importance l’idée de faire des économies). Elle me dit qu’elle fait ici comme elle ferait chez elle.

Chantal prépare ensuite les chariots pour aller distribuer le linge propre dans les chambres. En principe, le linge propre est livré plié, mais sur certains vêtements, le nom n’apparaît pas, donc il faut le replier de sorte que le nom soit visible.

« C’est un travail qui est fait pour la mémoire : il faut se rappeler ou on a mis les choses pour chaque personne ». Chantal connaît le nom de chaque résident, là où se trouve leur chambre, elle reconnaît ce qui appartient à chacun d’eux. Elle me dit que si quelqu’un d’extérieur au service devait reprendre son travail, il aurait certainement des difficultés, « la mémoire, c’est bien quand on est seul ».

Chantal dispose sur un chariot le petit linge (les culottes, les slips, les soutien-gorge, …) et met sur des portants les pull, les robes et pantalons ; en même temps, elle vérifie s’il ne manque pas de boutons ou si les vêtements ne sont pas déchirés.

Elle s’arrange pour regrouper sur un même cintre chemise, pull et pantalon : c’est plus facile pour elle parce que ça lui économise un cintre, et c’est plus facile pour les soignants quand ils font la toilette du résident, ils ont tout ce qu’il faut pour l’habiller sur un même cintre.

Pour le rangement du petit linge sur le chariot, Chantal le dispose en fonction de l’ordre des chambres de l’unité, comme ça elle n’a pas besoin de chercher où il doit aller, c’est plus facile pour la distribution. Elle le range aussi en fonction de la taille du linge : ce qu’il y a de plus gros (comme un pull ou une chemise) en dessous, ce qu’il y a de plus léger (les culottes) au dessus, de sorte à obtenir des piles de linges qui soient stables.

Il est environ 10h quand on part faire une pause pour boire le café. Roger, un collègue de Chantal, nous rejoint et me demande ce que je fais. Je lui explique qu’il s’agit d’un travail en vu de réaliser une enquête de satisfaction, et il me dit que ça ne servira à rien, parce que d’après lui, il n’y a pas de volonté de faire changer les choses.

Roger m’explique que normalement, il faut 2 personnes en permanence dans chaque unité du RDC : une qui travaille dans une chambre pendant que l’autre surveille le lieu de vie. Et en réalité, ce n’est que grâce aux étudiants et aux élèves que le service arrive à avoir le personnel minimum.

Roger m’explique aussi que le nombre minimum de personnel est calculé selon un quota entre le nombre de résident et le nombre de personnel. Ainsi, il dit que pour les 60 résidents du pavillon de l’Estaque, le quota en terme de personnel est bon, mais que dans la réalité, les unités Alzheimer nécessitent plus de personnel.

Roger raconte une histoire qui s’est passée ce week-end, et qui illustre les conséquences du sous-effectif. Il raconte qu’un week-end, un résident a appelé (en utilisant sa sonnette d’appel infirmière), mais que personne n’est venu. Le résident a alerté alors sa famille, qui s’est empressée de contacter le CGD. Après enquête, il s’avère qu’il y avait bien un soignant dans l’unité, mais qu’il était dans une chambre en train de faire une toilette, ce qui fait qu’il n’a rien entendu parce qu’il n’était pas dans le bureau de soin, là où sonnent les appels.

Chantal me raconte aussi ce qui pour elle génère de l’insatisfaction. Il y a quelque temps, le CGD lui a payé une formation à Paris pour apprendre à faire des bouquets. Mais le jour où elle a demandé 50 F par semaine pour acheter des fleurs, on lui a répondu que « ce n’est pas si simple que ça », et résultat, il n’y a pas de budget pour l’achat de fleurs. Mais elle va quand même dans le parc en chercher lorsqu’elle en a le temps, et quand c’est la saison. Ce qui ne la satisfait pas, c’est qu’on ne lui donne pas les moyens de réaliser avec les résidents ce qu’elle a appris, elle dit « ça ne suit pas derrière ». Idem pour la formation « pochoir », depuis, elle n’a toujours pas eu de timbres.

Chantal me raconte l’histoire des décorations de Noël qu’elle avait faites avec de simples pommes de pain avec les résidents, et tout le monde dans le service était très content. Il y en avait même eu de mises dans la salle du CA, ce qui lui avait valu sa part de reconnaissance. Pour Pâques, elle a voulu refaire une initiative de ce genre, elle a demandé des œufs en plastique, mais elle n’a pas eu de réponse. Elle le regrette, elle dit que « ces petits détails, ce sont le sel de la vie ». D’autant plus que les résidents ne manquent de rien, ils sont bien logés, ils mangent bien, mais c’est avec ces petits détails que l’on améliore la vie.

Nous retournons dans la lingerie, et tout en préparant les chariots pour distribuer le linge, Chantal me raconte son parcours dans l’établissement.

Elle me dit que ça fait plus de 30 ans qu’elle travaille ici, et qu’elle pique toutes les semaines des colères, quand ce n’est pas tous les jours.

En 2001, quand l’Estaque a ouvert, elle est venue s’occuper de la lingerie, et prendre la fonction d’aide-hôtelière, après avoir créer celle qu’il y a à l’étoile. Lorsqu’elle est arrivée, il n’y avait rien dans la pièce, on lui a demandé de quoi elle avait besoin. Il y a eu une exposition de meubles dans le hall, certains n’ont pas été achetés, et ils sont restés là. Alors Chantal en a récupéré une partie (un bureau, une étagère, et une chaise) pour les mettre dans la lingerie. Si elle ne les avait pas gardé, on lui en aurait acheté d’autres, mais il aurait certainement fallu attendre. Puis elle a dû faire de nombreuses demandes pour obtenir un placard pour ranger et stocker du linge. Ensuite, elle a aussi demandé une banque, qu’elle n’a jamais eue, et c’est Roger son collègue, qui lui a trouvé des tables à la place. Elle a demandé un miroir, bien utile lorsque les résidents ont un ourlet à faire par exemple, ou pour choisir une robe, mais elle n’en a pas eu, et c’est le miroir d’un résident décédé qu’elle a récupéré. Mais il est trop petit. La décoration de la pièce, c’est elle qui l’a fait, avec les moyens du bord encore une fois (elle a affiché les dessins de mode de grands couturiers), elle a récupéré des résidents des petits coffres ou des meubles. (cela illustre à mon avis moins le manque de moyen que les conditions de travail du personnel : en permanence, ils doivent inventer leur métier)

Tout le linge est badgé au nom du résident à qui il appartient. Chantal m’explique qu’avant les étiquette étaient cousues, mais que maintenant, elles sont collées, ce qui n’est pas mieux car régulièrement elles se décollent. (à travers le statut de l’étiquette, il est possible d’observer toute la gestion qui est faite du linge personnel des résidents, donc plus largement, leur prise en charge : chaque époque a son étiquette, chaque époque produit un type de prise en charge spécifique aux PA)

Chantal est en relation avec la tutelle, pour certains résidents elle reçoit des coups de fils ou les tutelles lui demandent de quoi ont besoin comme vêtement les résidents. Elle leur indique donc ce qu’il faut acheter.

Chantal tient des fiches pour chaque résident, où elle marque ce qu’il possède comme vêtement. Elle m’explique que sur les fiches, seules le n° de chambre et l’unité de résidence sont inscrites au stylo, le reste est marqué au crayon de bois, de manière à ce qu’il puisse être gommé. Quand le résident part, la fiche reste, et ressert pour un nouveau résident. (cela est à mettre en relation avec le statut symbolique du résident au sein de l’unité : il n’est là que ponctuellement, et un jour il va partir, il va s’effacer) Chantal m’explique que cela vient de l’ancienne lingerie, là où elle travaillait avant, où l’on écrivait au crayon de bois.

Chantal m’explique que s’occuper du linge, c’est un travail dans lequel il faut respecter des règles : faire apparaître le nom sur le vêtement plié, toujours rangé le linge avec le pli devant, pour le compter rapidement, etc.

Chantal m’explique que son travail est très prenant mentalement, elle compte et recompte le nombre de draps, de serviettes, elle doit se souvenir en permanence de ce qui est à qui, où ça se trouve, combien…Elle mémorise ce qu’elle doit faire, comme les rajouts aux robes de Mme A. qui a grossi, ou ce qu’elle doit penser à vérifier dans le placard d’un autre résident. Elle me dit « quand je suis à la maison, je pense encore à ici. Et je brode pour me laver l’esprit ».(la charge mentale de ce travail est importante, il nécessite que de nombreuses opérations de calcul et de mémorisation soient réalisées)

Une résidente est décédée la semaine dernière. Chantal a récupéré tout son linge et le trie. Il y en a une partie qui est du linge ou des vêtements de l’établissement, et une autre qui appartenait à la résidente. Chantal regarde les robes qui sont encore en bon état, et les trie pour savoir celles qu’il faut jeter. Elle sait que cette résidente n’avait pas de famille, donc qu’il y a peu de chance que quelqu’un vienne pour réclamer quelque chose de cette dame. Mais par précaution, elle met de coté un gilet en laine, que la résidente avait du elle-même se tricoter.

Elle dit, au sujet d’une robe bien conservée : « cette robe ne va pas à tout le monde, il faut que je la mette à une personne grande et mince ». (Son appréciation des vêtements fait parti de son travail ; elle répartit les vêtements dont elle dispose en fonction des personnes qu’elle a à habiller, mais des critères esthétiques entrent aussi en compte. Le but de son travail étant que les résidents soient « bien habillés »). Chantal me dit qu’elle habille les résidents de sorte « qu’ils ne ressemblent pas à des mendiants ».

Chantal me raconte comment était l’ancien système de lingerie, à l’époque où il y avait encore à Montolivet une trentaine de lingères qui travaillaient. Elle m’explique que le métier était difficile, car elles devaient trier et compter le linge sale, et me raconte une anecdote : un jour, il y a le directeur d’une entreprise de sous-traitant qui est venu les regarder travailler (qu’elles appelaient « le regardeur »), pour faire une sorte d’audit, et qui a déclaré que « même la dernière zaïroise arrivée ne tiendrait pas 3 jours »

Pour Chantal, le métier de lingère, entre il y a 30 ans et aujourd’hui, n’a plus rien à voir. Elle dit « je tripote encore du linge, mais plus de la même manière ».

Chantal me raconte ses débuts à Montolivet. En arrivant, elle a été choquée, « quand je suis arrivé ici, j’ai cru que c’était Auschwitz ». A l’époque, les résidents avaient de marquer sur leur vêtement, leur numéro de matricule, et quand ils étaient déplacés dans un autre service, un autre numéro leur était attribué, ce qui fait que certains avaient plusieurs numéros.

Je demande à Chantal ce qu’elle pense de l’évolution de l’établissement, et elle me répond que ça n’a pas mal évolué, qu’elle ne regrette pas l’ancienne époque.

Elle se rappelle qu’avant il y avait de grandes fêtes, notamment pour le 14 juillet où il y avait des fêtes dans le parc ou pour Noël. Les résidents chantaient, il y avait ce que l’on appelait « radio crochet ».

Pendant qu’elle me raconte ses histoires, Chantal est aussi sollicitée : le pasteur vient la voir pour la saluer, 2 AS viennent pour lui signaler un problème, la tutrice d’un élève en formation passe la voir pour lui demander si tout va bien avec l’élève dans le service, un parent d’un résident vient aussi la trouver…

Pour Chantal, la population des résidents a beaucoup changé. Avant, il y avait les « utilisés », c’est à dire des résidents qui participaient à la vie de l’établissement, ils travaillaient par exemple dans la jardinerie, dans les cuisines, ou bien ils aidaient pour le service. En échange de leur travail, ils recevaient un petit pécule et l’établissement leur attribuait des « petits plus », comme 2 pommes en dessert à la place d’une par exemple. Mais les « utilisés » n’étaient pas sans poser de problèmes, parce qu’ils se prenaient pour des leaders, et avaient tendance à diriger les autres résidents, si bien qu’il y avait parfois du conflit.(l’histoire de l’établissement me paraît tenir une place encore prépondérante dans l’activité aujourd’hui : ce qui se fait dans les services pour les personnes agées, n’est que le résultat de tout un tasd’expériences préalables, de choses qui ont été développées, d’autres arretées. Cette histoire me paraît gravée dans les pratiques : un exemple c’est l’étiquette, aujourd’hui on peut la regarder comme une simple étiquette avec un nom dessus, mais avant c’était un numéro, et l’étiquette n’est pas arrivée toute seule, mais elle a été développée pour remplacer le numéro. Donc tout ce qui se fait a une explication, une origine, qui est riche de sens.)

Avant, les pensionnaires étaient beaucoup plus visibles que maintenant : ils jouaient aux boules, aux cartes, ils prenaient le soleil, certains allaient travailler en ville et revenaient le soir.

Selon Chantal, « Montolivet ça fonctionnait comme un village, il y avait tout ». A cette époque, il y avait 1200 pensionnaires, plus le personnel, donc ça faisait beaucoup de monde.

Chantal me raconte que pendant la guerre, une partie des résidents s’étaient réfugiés à Chambon sur Lignon, où il y avait des bâtiments qui pouvaient les héberger. Mais cela avait posé des problèmes, comme par exemple il avait fallu agrandir le cimetière.

Chantal me dit que ce qu’elle pourrait regretter, pas pour elle mais pour les résidents, c’est qu’avant, quand il y avait une visite, du fait que les résidents vivaient dans des dortoirs, alors la visite, c’était pour tout le monde, une personne qui venait de l’extérieur apportait des nouvelles, des paroles, de la vie, qui étaient données à tout le monde.

Chantal remarque que le problème de l’architecture de l’Estaque, c’est qu’elle a été très bien pensée pour les PA, avec le lieu de vie central, la disposition tout autour des chambres, mais qu’elle a été très mal pensée pour le personnel, car tout est centralisé, ce qui multiplie les déplacements. De plus, les couloirs sont trop étroits.

De même pour les portes qui ont été choisies, ce sont des portes coupe-feu, donc c’est très bien, mais elles sont trop lourdes. Dans la lingerie de Chantal, c’est un petit bout d’épingle à linge qui sert pour bloquer la porte en position ouverte, parce que si les résidents veulent venir la voir, ils n’arrivent pas à pousser la porte.

Chantal regrette qu’à Montolivet, on n’accorde pas assez d’importance à ce que le personnel a à dire sur son propre travail. Un exemple, c’est le passage de l’activité de lingerie de l’établissement, à la sous-traitance, on ne lui a pas demandé son avis. Et ensuite, on lui attribue une dotation de 50 draps par jour, alors qu’il en faut 60, et elle doit se battre pour les obtenir.

Un autre exemple, ce sont les draps de housse pour les traversins : il faut augmenter la dotation. Cela fait partie du projet de service, c’est quelque chose qui est connu, mais ça ne change pas. Chantal dit que « maintenant, il y a des choses que je ne dis plus, 37 ans de service, jamais écouté, ça use ! »

Pour Chantal, les vêtements, l’habillement, participe au respect de la personne humaine, à son bien-être, à sa dignité : être bien habillé, être beau, c’est être humain.

Chantal me parle de l’ancien système de lingerie, où les vêtements n’étaient pas personnalisés : cela n’était pas fait exprès contre les PA, mais c’est ce qu’il y avait de plus pratique et confortable pour le personnel. Chantal dit qu’avoir des robes anonymes dans un service, ça peut servir. Mais c’est quand l’anonymat devient la règle général que ça ne va plus.

Chantal me raconte qu’il y a quelques années, une résidente qui venait tout juste d’arriver lui a demandé si elle pouvait apporter ses nappes. Chantal en a parlé avec la surveillante, et elles ont refusé. Puis, quelque temps plus tard, elles ont regretté, parce qu’elles se sont dit que la résidente, ça lui aurait fait plaisir de voir ses nappes mises le dimanche par exemple.

Chantal évoque l’effet pervers de l’administration, qu’elle qualifie comme une lourdeur. « la hiérarchie, c’est lourd à porter ! » Ca ne change pas, très peu, très lentement. L’exemple des serviettes est symptomatique : chaque jour il y a 25 serviettes pour 60 résidents, cela fait 1 an que ça doit être changé, mais le personnel attend encore.

Un autre exemple encore, c’est à l’occasion des 100 ans d’une résidente, le personnel organise un repas spécial, et Chantal veut mettre des fleurs pour l’événement, des pensées. Quand elle demande, on lui répond qu’il n’y a pas l’argent, alors elle les achète avec ses fonds propres. Le remboursement a été long à venir.

Pour me faire comprendre la différence qu’il y a entre dire les choses et les faire, Chantal me donne un exemple. Par exemple quand moi j’écris « Chantal distribue le linge », ça ne prend qu’une ligne, mais pour elle, ça prend une journée à faire. Et ça, ce n’est que pour la distribution du linge, car il y a tout le reste encore.

Chantal remarque que c’est grâce à l’imagination, à la bédrouille, que le personnel arrive à fonctionner et à faire son travail, qu’il faut « des astuces pour faire tout ».

Pour Chantal, le CGD, « ça fonctionne comme dans une maison, au niveau de la répartition des taches, les activités ici sont des activités d’une maison : faire à manger, servir le repas, se laver, s’habiller, nettoyer les lieux… » Une grande maison, ou alors un petit village, parce que l’Estaque, les résidents plus le personnel, c’est 90 personnes, sans compter les élèves, les stagiaires, les bénévoles, les familles…(cette comparaison entre l’activité de l’établissement et l’activité d’une maison me semble pertinente. Est-ce cela qui pourrait expliquer le degré de féminisation importante dans la profession ?De meme que le coté relationnel et affectif qui fait parti du travail ?)

Je lui donne mon impression, que le travail ici, c’est aussi de faire vivre ce collectif, d’y participer, de s’y intégrer. Elle me répond que c’est pour cela qu’elle assiste aux transmissions le midi, pour savoir qui va bien, et qui ne va pas bien, ce qu’il se passe, donc pour avoir les infos, et pas rentrer dans une chambre toute guillerette alors que la personne est en train de mourir, donc ça fait parti de son travail que de s’informer.

Mais elle me dit qu’elle entretient un autre type de rapport avec les résidents que le personnel soignant : « moi, je ne viole pas leur intimité ». Elle me dit qu’une aide-hôtelière qui aurait été avant AS, n’aurait pas la même vision qu’elle. Chantal me dit qu’elle fait des soins indirects, elle fait partie de l’équipe soignante, mais elle soigne l’aspect extérieur : « être bien à l’extérieur, c’est être bien à l’intérieur de soi aussi ». Le rapport direct à la souffrance la rend mal à l’aise et maladroite. Elle ne sait pas quoi dire pour compatir. Elle pense que si les résidents ne lui parlent presque jamais de leur douleur, c’est parce qu’elle ne les vois pas dans leur nudité ou dans leur décrépitude. De plus, il y a des PA qui lui font des confidences à elle, et pas aux autres soignants, par exemple sur leur rapport avec leur enfant, ou leur histoire de chagrin.

La matinée se termine, le personnel du 1 er étage se retrouve dans une petite pièce commune pour manger ensemble. Ensuite, ils descendent au RDC pour retrouver le reste de l’équipe. Un peu avant 14h, l’équipe du matin s’en va, et l’équipe de l’après-midi commence le service. Chantal ne fait pas les mêmes horaires que l’équipe du matin, puisqu’elle termine vers 14h3O.

La séance d’observation se termine après la pause du midi.

 

 
Une suggestion ? Ecrivez-moi